Les addictions restent à bien des égards un sujet tabou, au cœur de nombreux préjugés. Pourtant, les addictions, notamment aux substances psychoactives, se révèle être un véritable problème de santé publique. En 2015, le rapport de l’ONUDC sur les drogues atteste que plus de 35 millions de personnes dans le monde souffrent de troubles liés à l’usage de drogues, et que ce chiffre ne cesse d’augmenter.

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L’addiction, c’est quoi ?
L’addiction est une maladie neurologique responsable de 20 % de la mortalité dans le monde. Elle se définit par l’incapacité d’un individu à ne pas consommer une substance ou exercer une pratique, en dépit de la motivation et malgré les conséquences négatives encourus. Les addictions les plus fréquentes sont liées aux substances dites psychoactives, qu’elles soient licites, comme le tabac ou l’alcool, qui sont respectivement à l’origine de 75 000 décès et 41 000 décès par an en France, ou illicites, comme la cocaïne ou la MDMA. Elles ont toutes, à un degré variable, des effets sur le comportement et le discernement du consommateur. Il est également à noter qu’une seule prise de certaines de ces substances, à l’instar de la cocaïne, peut provoquer une mort instantanée. Les addictions liées aux pratiques, aussi appelés addictions sans substances, n’ont été diagnostiqués que très récemment. Il existe une multitudes d’addictions sans substances, dû aux jeux vidéo, aux jeux d’hasard mais aussi au sport, à l’alimentation, au sexe… On retrouve notamment parmi les plus répandus le workaholisme (addiction au travail), l’anorexie ou la boulimie, le porno, la bigorexie (addiction à l’activité physique) ou encore la cyberdépendance. Même si ces addictions peuvent paraitre moins addictogènes que celles liées aux substances, elles n’en sont pas moins dangereuses et même mortelles. A titre d’exemple, l’anorexie cause un décès dans 10% des cas. 50 à 75 % des patients ayant des addictions comportementales souffrent également de troubles psychologiques à l’instar de troubles anxieux, de TDAH, de dépression ou de trouble bipolaire. Il faut savoir que les addictions peuvent se manifester tout au long de la vie, mais on constate que les personnes âgées de 15 à 25 ans sont néanmoins davantage à risque face à ces dernières. Le comportement à risque des adolescents et jeunes adultes favorise les premières expériences et plus on s’expose tôt à des substances plus le risque d’addiction est par la suite important.
Comment dépister une addiction ?
Laurent Karila, psychiatre français spécialisé dans l’addictologie, propose la technique des 5 C afin de caractériser l’addiction :
- Contrôle : perte de contrôle
- Craving : envie irrépressible de consommer
- Compulsion : activité compulsive
- Continue : usage continu
- Conséquences : usage continu en dépit des conséquences négatives
On retrouve également ces critères caractéristiques de l’addiction dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles des troubles mentaux – DSM 5 élaboré par l’American Psychiactric Association. Ces critères permettent de définir le degré de sévérité de l’addiction. De fait, si l’individu présente de 2 à 3 critères, il s’agit d’une addiction faible, de 4 à 5 critères, une addiction modérée et plus de 6 critères, une addiction sévère.
- Besoin impérieux et irrépressible de consommer la substance ou de jouer (craving)
- Perte de contrôle sur la quantité et le temps dédié à la prise de substance ou au jeu
- Beaucoup de temps consacré à la recherche de substances ou au jeu
- Augmentation de la tolérance au produit addictif
- Présence d’un syndrome de sevrage, c’est-à-dire de l’ensemble des symptômes provoqués par l’arrêt brutal de la consommation ou du jeu
- Incapacité de remplir des obligations importantes
- Usage même lorsqu’il y a un risque physique
- Problèmes personnels ou sociaux
- Désir ou efforts persistants pour diminuer les doses ou l’activité
- Activités réduites au profit de la consommation ou du jeu
- Poursuite de la consommation malgré les dégâts physiques ou psychologiques
Comment fonctionnent les addictions ?
Les cellules nerveuses et les substances qui jouent un rôle dans les addictions composent le circuit de la récompense. Ce circuit est constitué de deux zones, qui s’échangent des informations entre elles : le noyau accumbens et l’aire tegmentale ventrale. Les neurones communiquent entre eux en se transmettant des informations par le biais de messages nerveux, qui passent le long de l’axone, c’est-à-dire le prolongement du neurone pour rejoindre la jonction entre deux neurones : la synapse. Le flux nerveux provoque alors la production de dopamine, un neurotransmetteur. La dopamine assure la communication entre le neurone qui émet l’information et le neurone qui la reçoit, appelé neurone récepteur. Le neurone récepteur sélectionne les informations dont il a besoin, à savoir le bien-être dans le circuit de la récompense. Par exemple, lorsqu’on a une irrésistible envie de crème glacée, le fait d’en manger nous fait ressentir un sentiment de bien-être immédiat dû à la dopamine secrétée au niveau du circuit de la récompense. En cas d’addiction, les substances psychoactives interfèrent dans la bonne communication entre les neurones, en libérant notamment une quantité de dopamine trop importante, ce qui procure une sensation de plaisir anormalement accrue, qui est alors mémorisée par le cerveau. La libération de dopamine peut intervenir lors d’une consommation mais également en l’absence de consommation. En effet, le seul fait de voir une cigarette ou de l’alcool peut faire émerger inconsciemment de notre mémoire la sensation de plaisir ressentir lors de notre dernière consommation et libérer ainsi la dopamine. C’est cette anticipation de la récompense qui va entraîner la répétition de l’action et donc être à l’origine d’une surconsommation. Progressivement cette surconsommation peut conduire à une dépendance physique et psychique au produit en question. Toutes les substances psychoactives modifient ce système de récompense à un degré variable, en conduisant à une libération excessive de dopamine, même en l’absence de consommation. Il y a dès lors une dissociation entre la consommation réelle et l’anticipation de consommation. Cette dissociation provoque le symptôme de manque. Plus on consomme, moins notre circuit de la récompense est stimulé et moins on ressent de plaisir : c’est l’accoutumance. La consommation devient alors compulsive, avec pour objectif de retrouver la satisfaction éprouvée antérieurement. L’individu a alors beaucoup de difficulté à arrêter, c’est la perte de contrôle.
Les facteurs de risque de l’addiction
« Les pratiques addictives résultent de l’interaction de facteurs liés au(x) produit(s) consommé(s) (substance psychoactive ou autre), de facteurs personnels et de facteurs liés à l’environnement dans lequel évolue l’individu. » – l’INRS
L’addiction découle toujours d’une interaction entre des facteurs individuels et environnementaux. D’une part, les hommes sont plus touchés par les pratiques addictives. Ils montrent dans la plupart des cas une fragilité psychique, qui peuvent aller de l’anxiété à la dépression ou l’impulsivité. En outre, ils présentent aussi souvent une vulnérabilité génétique, un caractère enclin aux addictions, un ou plusieurs traumatismes marquant dans sa vie. D’autre part, l’exposition aux substances addictives au sein de son entourage, l’accessibilité des drogues, des jeux sur internet ou d’argent participent à l’apparition d’une addiction. De plus, commencer à consommer une substance ou à pratiquer une activité addictive prématurément favorise l’émergence d’une dépendance. A titre d’exemple, boire de l’alcool, tout comme pratiquer des jeux d’argent ou de hasard, aux prémices de l’adolescence augmente de 10 % le risque d’être dépendant par la suite. Enfin, l’usage de certaines substances se révèlent plus addictives que d’autres et amplifient donc le risque de dépendance. En première position, on trouve le tabac avec 32 % des consommateurs dépendants, puis l’héroïne avec 23 %, la cocaïne avec 17 % et l’alcool avec 15 %. Les jeux vidéo les plus addictogènes sont les jeux de rôles multi-joueurs.
Peut-on guérir d’une addiction ?
Guérir d’une addiction est, à l’image de cette dernière, très complexe. D’où l’importance de la sensibilisation et de la prévention à l’égard du grand public. Toutefois, la rémission reste possible. L’addiction ne se soigne pas avec des médicaments, même si, parfois, certains médicaments peuvent être prescrits dans le cadre d’un traitement médical, notamment lors d’un sevrage. La plupart des programmes mis en place contre les addictions, à l’instar de psychothérapie individuelle ou thérapie de groupe, ne visent pas l’arrêt définitif de la consommation et l’abstinence totale, mais l’atténuation des risques chez le consommateur, ce qui passe souvent par un traitement de substitution ou une réduction progressive de la consommation. Il est vivement déconseillé d’essayer de se sortir seul d’une addiction car les nombreuses rechutes qui accompagnent le processus de guérison peuvent ébrécher la confiance en soi et la motivation de la personne malade, ce qui risque de compromettre la lutte contre la pathologie, et même de l’aggraver. Il est également fortement conseillé de rejoindre un groupe de parole, pour pouvoir s’exprimer, explorer et partager en groupe sa maladie avec d’autres personnes atteintes. Marie de Noailles, psychologue spécialisée en addictions, souligne, dans un article du magazine Le Point, les difficultés qui peuvent être éprouvés pour se sortir d’une addiction, ayant elle-même souffert de multiples addictions, notamment à l’alcool : « Pour moi, l’alcool a été le produit le plus difficile à arrêter : il y a de l’alcool à tous les coins de rue, dans le frigo, les bars. C’est plus difficile de vivre dans notre environnement social sans boire d’alcool. Quand je vais dans une soirée ou à un mariage et que je demande un Coca, c’est plus compliqué pour la personne de me le trouver plutôt que de m’offrir un verre de champagne ou de vin. »
« Le succès dépend essentiellement de la motivation du patient à se sevrer, puis de l’amélioration durable de ses conditions de vie et de son estime de lui : trouver un emploi, mener des activités, avoir des centres d’intérêt, trouver un rôle et une utilité dans la vie sociale » – l’Inserm

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