Le 23 novembre 2022, Bruno Dumontet, créateur de l’association Expédition MED, a été reçu au Lycée Vauban. Il a sensibilisé, grâce une présentation, les classes de quatrième à la pollution plastique des mers et des océans. ALETHEIA a eu la chance de pouvoir lui poser quelques questions sur l’association et sur l’état actuel de nos mers et océans et plus spécifiquement sur la mer Méditerranée.
Avez-vous toujours été sensibilisé à la cause environnementale ?
Depuis tout jeune, je suis intéressé par la nature mais je n’avais pas d’intérêt particulier pour la pollution plastique. C’est en naviguant que j’ai pu constater personnellement la gravité de la dégradation de notre environnement. Je me suis dit qu’il valait mieux naviguer utile, j’ai donc commencé par faire de la photo d’identification d’espèces marines pour des scientifiques effectuant des recherches dans ce domaine. Ma conscience environnementale s’est alors développée lorsque j’ai pu observer, de près, et, très régulièrement, du plastique flotter à la surface de la mer.
Qu’est-ce qui vous a poussé à créer l’association expédition MED en 2009 ?
J’ai pu remarquer qu’il n’existait aucune étude sur les microplastiques. Le seul qui avait commencé à en parler et à alerter était Charles Moore le découvreur du septième continent, le surnom de l’océan plastique. Je voulais à mon tour produire de la donnée et mener des études sur les microplastiques. J’ai donc créé une structure dédiée à ces études. En échange, un filet Manta, aux mailles très fines permettant de collecter le plancton ou le microplastique, nous a été offert ; il est utilisé sur toute la planète par des chercheurs qui étudient la pollution plastique pour le prélèvement de microplastiques.

Utilisez-vous le filet Manta dans un objectif de nettoyage de la mer ou pour faire des études ?
Nous utilisons le filet Manta pour mener des études car il est impossible de nettoyer la mer. Même en passant plusieurs fois au même endroit, il y a toujours du microplastique parce qu’il flotte à la surface de l’eau. Nous utilisons donc le filet pour collecter des données et en faire des statistiques et des moyennes. Nous nous servons ensuite de ces informations pour identifier la nature des microplastiques et également pour alerter la classe politique en s’appuyant sur des chiffres fiables.
Laquelle de vos actions a été la plus fructueuse et laquelle vous tient le plus à cœur ?
Je dirais que l’activité historique de l’association autrement dit les campagnes de recherches sur le bateau me tient vraiment à cœur. Lors de la première expédition, nous avons mis le filet Manta à la mer. On partait réellement à l’aventure sans savoir si oui ou non nous allions prélever des microplastiques. Il s’est avéré que nous en avons énormément trouvés. Nous étions donc d’une certaine manière très satisfaits parce que notre projet avais abouti mais d’un autre côté ça nous a alertés du niveau de gravité de la pollution marine et confortés de la nécessité d’entreprendre des actions afin d’enrayer cette pollution.
Un deuxième événement qui a suscité beaucoup d’intérêt, dès le début de notre projet, ce sont les expositions « océans et mers plastifiés » qui circulent sur tout le territoire. J’ai eu de très bons retours et j’ai été extrêmement étonné de leur succès. Cela révèle le réel besoin des gens de comprendre cette pollution en dehors de médias qui n’ont qu’une approche globale. Ces expositions sont des outils pédagogiques qui informent et sensibilisent à la hauteur de cette pollution planétaire. Les données sont fiables car elles résultent d’études scientifiques.
Comment voyez-vous l’association évoluer à l’avenir ? Quels sont vos prochains projets ?
L’association évolue toujours avec la poursuite de nos campagnes, mais elle a tout de même plusieurs axes de développement. Sachant que nos déchets n’ont pas de frontières, nos initiatives se déploient à l’international. Puisque la Méditerranée est une zone semi-fermée, les déchets de la rive sud remontent vers la rive nord parce qu’ils circulent autour du bassin à cause des courants marins. Nous retrouvons donc les déchets de la rive sud sur celle du nord et vice versa. Il est donc important de collaborer avec les Etats de la rive sud qui n’organisent pas de collectes de déchets et qui ne possèdent aucune donnée sur la quantité de microplastique sur leurs rives. Il faut les aider à développer leurs initiatives et former leurs scientifiques en leur apportant des connaissances sur les moyens et les outils pour lutter contre les déchets. A partir de l’an prochain, un programme est donc mis en place avec des organismes algériens et marocains pour créer des actions de sensibilisation. Ce programme financé par l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) internationale a pour objectif de faire circuler dans plusieurs pays et dans plusieurs langues les mêmes expositions que celles faites en France. Nous voulons leur faire profiter de nos expériences pour, qu’à leur tour, ils soient au courant des enjeux de la pollution plastique et qu’ils l’étudient.
Quelle est la nature des déchets que vous trouvez le plus en Méditerranée ?
Notre principale axe de recherche est l’étude des microplastiques. On en retrouve principalement en polyéthylène, polypropylène et polystyrène. Il est difficile de connaitre l’origine d’un morceau fragmenté. Nous avons donc recours à de la spectroscopie infrarouge qui nous révèle que la plupart sont issus d’emballages plastiques.
Avec le COVID avez-vous vu remarqué un changement de la nature des déchets ?
Oui, pendant la crise COVID, nous avons retrouvé beaucoup de masques et de gants chirurgicaux. C’est la preuve qu’il faut couper à la source pour diminuer les déchets. L’augmentation des masques retrouvés dans la mer a été flagrante parce que les gens perdaient beaucoup de masques souvent de manière non intentionnelle. Aujourd’hui ils ont déjà disparu, on n’en trouve presque plus, c’est donc une bonne nouvelle même si on trouve d’autres déchets à la place.

Que faut-il faire face au continent de plastique ? Faut-il le nettoyer ? Faut-il le laisser tel qu’il est ?
Cela n’est pas facile à entendre… mais oui il n’y a rien à faire. Certains vont dans le sens inverse en se disant qu’il faut le nettoyer avec des bateaux, mais ce n’est pas une solution, ceux qui prétendent cela ne sont pas des scientifiques. Il faut se rendre compte de la taille de ce continent pour comprendre qu’il est impossible de le nettoyer. Ce septième continent fait trois fois et demie la taille de la France sur une couche de plusieurs dizaines de mètres de profondeur. Des algues s’accrochent sur les plastiques et les font donc couler. De la vie se développe donc autour de ce continent créant un nouvel écosystème. Si on prend un filet pour le nettoyer, on va ramasser quelques tonnes mais on va faire encore plus de dégâts qu’autre chose parce qu’on détruit de la vie. La quantité de plastique restera toujours la même parce que la superficie est trop importante et ça demanderait trop d’argent rendant le projet impossible.
Le jeune néerlandais Boyan Slat a essayé de nettoyer ce septième continent en faisant des démonstrations avec de grands filets. Il a montré qu’il pouvait remonter quelques tonnes de déchets, mais il a surtout détruit de la vie. Les gens, hormis les scientifiques, l’ont félicité. Il a néanmoins pris conscience du côté utopiste de son projet. Il a compris qu’il faut nettoyer au niveau des estuaires et des rivières parce que une fois les déchets arrivés dans la mer, il est déjà trop tard.
Pensez-vous que la Méditerranée va être de plus en plus polluée ou que les gens sont suffisamment sensibilisés pour en prendre de plus en plus soin ?
Effectivement, on pourrait penser qu’avec toutes les initiatives mises en place il devrait y avoir moins de déchets et moins de pollution. Certains produits comme les sacs plastiques qui sont interdits sont en effet plus rares. Pourtant la quantité de déchets reste la même parce que même si des efforts sont réalisés sur la rive nord, les déchets de la rive sud arrivent sur nos cotes. Il faut donc vraiment collaborer avec les pays de la rive sud parce que les initiatives s’avèreront inutiles si elle ne sont pas généralisées. Je préfère voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide en me disant qu’en 2009 personne n’était au courant de l’existence de micro plastiques alors qu’aujourd’hui cela est devenu un enjeu de société. Une stratégie plastique est en effet mise en place accompagnée de nombreuses initiatives. Ces dernières sont pourtant ralenties à cause du lobbying de la plasturgie qui reste très puissant et qui met beaucoup de freins. Il est difficile de prendre une position. Je dirais donc que oui car dans un sens les gens prennent de plus en plus soin de l’environnement puisque c’est maintenant un réel phénomène planétaire dans la mesure ou les déchets ne connaissent pas de frontières ; mais je dirais aussi que non dans la mesure ou les mesures prises sont encore trop peu nombreuses.
Observez-vous une hausse des bénévoles et des donneurs au fil des années ?
Effectivement certaines personnes font des dons ce qui crée des ressources monétaires pour l’association. Cela fonctionne avec des appels aux dons et certains y répondent pour défiscaliser leur argent, ce qui est donc intéressant pour eux et pour nous également. Au-delà des donneurs, des éco-volontaires nous rejoignent parfois à bord du bateau pour nous aider dans notre démarche. Nous constatons cependant que les ONG pour l’environnement ne reçoivent pas autant de dons que les organismes humanitaires. Nous sommes donc en train de voir comment inciter les gens à faire plus de dons pour des ONG qui luttent contre la pollution qu’elle soit terrestre ou marine.