Qui sont les soldats de l’image ?

Le 11 octobre 2022, ALETHEIA a eu la chance de s’entretenir, à distance, avec le Premier Maître Olivier Le Comte, soldat de l’image au sein de l’ECPAD. Il a répondu à nos questions sur la production d’images lors des conflits et sur le rôle de l’ECPAD* (Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense), un service de l’Etat français qui a vu le jour en 1915. Découvrez ses réponses en texte et vidéo.

Premier Maître Oliver Le Comte, le 13 octobre 2022. Photographie : AEFE.

Thomas B : Dans le contexte actuel de la guerre qui frappe l’Ukraine et selon votre expérience professionnelle, quel crédit peut être accordé aux images que nous pouvons voir actuellement en Ukraine, que ce soit des deux camps, qu’elles soient civiles ou militaires ? 

Premier Maître Oliver Le Comte : Vous, qui êtes élèves de terminale, vous développez votre esprit critique. Je vous laisse donc la manœuvre pour pouvoir vous interroger sur les images et pour cela, il faut pouvoir les sourcer. En fonction des sources des images, vous pourrez en évaluer la véracité et plusieurs autres paramètres.

Alexandre B : A votre connaissance, y a-t-il d’autres pays disposant d’institutions équivalentes à l’ECPAD en France ? 

Premier Maître Oliver Le Comte : Il y en a très peu. A ma connaissance, chaque pays dispose d’organes de communication dont le but est de transmettre les informations aux soldats et personnels, qui eux communiquent sur leur armée. En revanche, le mot de « soldat de l’image » est spécifique aux armées américaines et françaises. Il n’y a guère que les armées américaines et françaises qui déploient des équipes telles que celles de l’ECPAD.

Nathan B : Sachant que vous êtes également soldat pour l’armée française, pouvez-vous être mobilisable pour une mission de l’ONU telles que l’envoi de casques bleus, par exemple ? 

Premier Maître Olivier Le Comte : En effet, cela peut être le cas. Par exemple, un de mes mandats en République Centrafricaine était un mandat européen et j’y étais déployé dans le cadre d’une mission d’instruction. Je racontais la vie des soldats qui formaient les nouveaux soldats des armées centrafricaines. Ce ne fut pas un mandat dangereux, il était même plutôt souple. Par ailleurs, il y a d’autres soldats français qui sont déployés au profit de l’ONU. C’est de plus, toujours le chef d’État-major des armées qui décide de cela.

Thomas B : Quelles sont les raisons personnelles pour lesquelles vous avez choisi l’ECPAD et était-ce vraiment un choix d’avoir embrassé une carrière de soldat de l’image et ce qu’il en implique, comme le fait de pouvoir capter les scènes sur le front ? 

Premier Maître Olivier Le Comte : Cela a été un choix, néanmoins, il y a eu un moment clé. Effectivement, lorsque j’étais reporter de la marine, à Brest, j’ai été demandé en renfort en 2013 à l’état-major des armées, sous l’ordre du colonel Burcard, actuel chef d’état-major des armées. Il était alors porte-parole du comité d’état-major des armées. C’est par exemple lui qui racontait l’histoire de Serval à la télévision, au Mali. Mon rôle était de recevoir, d’archiver et d’indexer les images que je voyais arriver des autres équipes. Moi, j’utilisais un ordinateur connecté à des serveurs et je voyais toutes les images qui arrivaient. J’ai ensuite commencé à être mordu et passionné à ce moment-là, car les images qui arrivaient étaient sensationnelles, que ce soient des photos ou des vidéos. Je me suis ainsi dit que ma place n’était pas derrière un bureau d’ordinateur, mais qu’elle était là-bas, où les images étaient captées. De plus, par hasard, six semaines plus tard, j’ai été déployé là-bas. Par conséquent, ça a été un changement incroyable car l’histoire qu’on me racontait derrière mon bureau, je la vivais et je pouvais la raconter à mon tour. On devient passionné, c’est sûr.

Premier Maître Oliver Le Comte en ligne avec Thomas B., Nathan B. et Alexandre B., lors de son entretien, pour ALETHEIA. Photographie : AEFE.

Alexandre B : Avez-vous déjà entendu parler de pertes de soldats de l’image qui sont morts en mission ou, l’encadrement de l’armée permet-il au contraire un niveau de sécurité relatif au rôle du soldat de l’image et son importance dans le cadre de la transmission de l’information ? 

Premier Maître Olivier Le Comte : Le dernier soldat de l’image qui est décédé, à ma connaissance, est le sergent Vermeille, lors d’une choura en Afghanistan, c’est-à-dire, une rencontre avec les chefs de village, où il a été victime d’un piège. Il y était pour témoigner. Aujourd’hui, l’armée de terre organise un concours photos quasiment chaque année en son hommage.

Retrouvez la suite de l’interview dans la vidéo suivante :

Les questions posées en vidéo : Dans les situations d’urgence sur le terrain que vous pouvez rencontrer, au cœur du combat, rentrez-vous dans votre unité ou essayez-vous à l’inverse de continuer à filmer le plus possible (00:00 ) ? Quels sont les les plus importants théâtres d’intervention dans lesquels vous êtes intervenus (1:05) ?Si vous voyez des civils en danger quelle est votre réaction : filmer et prendre des photos pour se procurer l’information ou aller essayer de les protéger et de les secourir (2:11) ? 3:11 : Dans ce rôle de capteur d’images et d’informations dans les interventions où vous intervenez, notamment comme c’était le cas en Yougoslavie où énormément de civils ont été touchés et dans lequel les images ont servi de preuves à l’ONU, quel niveau de décision va décider si oui ou non l’on publie des images des civils blessés, par exemple (3:11) ?

Nous avons trouvé cette interview très enrichissante grâce aux réponses précises mais aussi personnelles du Premier Maître Olivier Le Comte. Nous le remercions vivement. Nous avions connaissance des soldats de l’image, néanmoins nous ignorions précisément leur rôle. Echanger avec le Premier Maitre nous a permis de prendre conscience des enjeux de leur fonction et de celle de l’information en temps de guerre. L’échange était captivant car au-delà du fait d’avoir rencontré un militaire, nous avons rencontré un passionné !

*ECPAD : Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense, centre d’archives filmiques et photographiques mais aussi centre de production audiovisuelle du ministère des Armées. Cela représente 15 millions de photos et 100 000 heures de films qui témoignent de plus de cent ans d’Histoire depuis la Première Guerre mondiale jusqu’à l’opération Barkhane (au Sahel et au Sahara depuis 2014), l’ECPAD est aujourd’hui un témoin en temps réel de l’engagement des forces armées françaises sur tous les théâtres d’opérations avec ses équipes de reportage formées aux conditions de tournage opérationnel.

Images vidéo : AEFE. Montage vidéo : Thomas B., Nathan B. et Alexandre B.