Justine Sow : « Le wax nous raconte »

Journaliste et autrice de bande dessinée belge, Justine Sow a accordé une interview à ALETHEIA lors de la quatrième édition du salon de la BD organisé au lycée Vauban, le 15 novembre 2025.

Justine Sow à l’occasion du salon de la BD « Vauban dans les bulles »

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire cette BD sur le wax et la symbolique qui l’entoure ?

Alors pour cette BD, le sujet ne vient pas de moi : c’est le Musée de l’Homme à Paris qui a organisé une exposition sur le wax et voulait proposer au public, non pas un livre d’exposition, comme c’est souvent le cas, mais une BD, quelque chose d’un peu plus innovant. Il y avait des contacts qui préexistaient entre le Musée de l’Homme et Bayard graphique. Bayard graphique est un label créé par Bayard, une maison d’édition française spécialisée en jeunesse. Ce label propose des BD proches du réel : ce n’est pas de la BD de reportage mais cela s’en rapproche. Ce qu’ils font en général, c’est de faire travailler un ou une journaliste avec un ou une auteur.ice de BD. Quand ils ont vu mon profil, c’est-à-dire une journaliste qui fait aussi de la BD, ils se sont dit: « C’est génial, on va lui demander de faire la BD sur le wax. ». On n’en a jamais parlé, mais c’était peut-être aussi intéressant pour eux de travailler avec une personne métissée dans le cadre de ce projet qui allait parler d’Afrique.

Que symbolise le wax pour vous ?

Je pense que c’est un tissu qui nous raconte, qui raconte notre histoire humaine. Cette histoire est compliquée, complexe et très riche. Dans cette histoire, il y a eu des rapports de domination. Dans ce que j’appelle des rapports de domination, il y a aussi eu du commerce, de la culture, de l’affect et de l’émotion et ce tissu raconte tout cela. Il raconte comment des personnes ont voulu créer, vendre un produit pour se faire de l’argent, et comment d’autres se sont appropriés ce produit pour l’investir de toute leur culture, en faire quelque chose de neuf et d’aujourd’hui indissociable du continent africain. Je trouve que ce tissu a une trajectoire très intéressante. C’est pour cela qu’il est spécial et a été très intéressant pour moi à analyser.

Vous avez choisi de raconter l’histoire du wax autour de l’histoire de Sophia. Pourquoi avez-vous choisi cette trame narrative?

A l’origine, la commande était une BD sur le wax et j’ai voulu aller plus loin. Au fur et à mesure que je me documentais sur le wax, plus j’avançais dans mes recherches et plus j’avais l’impression qu’il y avait vraiment un parallèle à faire entre la complexité culturelle du wax, qui est un tissu qui est au cœur de plusieurs cultures, la culture hollandaise puis indonésienne et africaine, et la complexité identitaire d’un personnage métissé, qui lui aussi serait au cœur de plusieurs cultures. Le personnage de Sophia est né parce que, quand on m’a demandé de faire ce projet, j’ai questionné ma légitimité. Je me suis dit : « Qui suis-je pour faire une BD sur le wax, alors que j’ai jamais vécu en Afrique, alors que je porte pas de wax, que je parle pas la langue de mon père et que je connais très peu mon africanité ? ». Je me suis dit que si je mettais en scène un personnage métissé comme moi qui n’y connaissait pas grand-chose, qui est amené à explorer ce tissu et qui, en explorant ce tissu, s’explore elle-même, je me sentirais légitime à le faire.

Pour conclure, avez-vous un projet en cours ?

Une autre maison d’édition m’a contactée pour adapter un livre d’une journaliste française qui s’appelle Solène Chalvon-Fioriti. C’est une reporter de guerre : elle est partie à 24 ans toute seule en Afghanistan à un moment où ce pays, à cause des conditions politiques, faisait peur et où très peu de journalistes osaient y aller. Elle a fait preuve de beaucoup de courage. Elle a rencontré beaucoup de femmes afghanes avec qui elle s’est liée d’amitié. Dans un livre, elle raconte la lutte féministe qui existe en Afghanistan depuis très longtemps, et qu’on connaît peu. L’idée est d’adapter ce roman en bande dessinée. Là je pense aussi à un troisième projet qui va bientôt arriver et qui parle de santé mentale.

Photos : Carla R.

Carla R.