Quand informer et s’informer devient un casse-tête. Partie 1 : Entretien avec Tracy Heindrichs

Face aux difficultés actuelles pour informer et s’informer avec les écrans, Tracy Heindrichs, journaliste au Luxembourg Times, nous présente ses méthodes de travail, ses réflexions sur la désinformation et sur l’impact du numérique sur le monde de l’information.

Tracy Heindrichs et Aikaterini T. Photographie de Tom G.

Aikaterini T. – Comment agissez-vous pour garantir l’exactitude de vos informations ?

Tracy Heindrichs – Mon approche est déterminée par le point de départ de ma recherche. Il m’arrive parfois de découvrir un sujet en parcourant des articles de journaux internationaux, ce qui me pousse à me poser la question : « Qu’en est-il du Luxembourg ? ». Je lis les journaux locaux, et je cherche des données et des rapports, je contacte des organisations ou des instituts, voire des représentants du gouvernement. Je peux aussi échanger avec des experts ou des acteurs de terrain. Si mon idée émerge d’une rumeur ou de témoignages, je commence par vérifier l’information en discutant avec des spécialistes du secteur concerné. Cependant, ce qui demeure primordial, c’est de rassembler plusieurs sources, d’évaluer leur fiabilité et de privilégier les faits concrets

A. T. – La numérisation de l’information et le développement des réseaux sociaux ont-ils modifié votre travail ?

T. H. – Je ne suis pas assez âgée pour avoir travaillé sans le numérique, ce qui rend difficile ma réponse à cette question. Cependant, il est évident que les réseaux sociaux sont un de nos principaux concurrents :de nos jours, les gens se contentent souvent de ce qui apparaît sur le fil d’actualité de leurs réseaux sociaux. Cela pose un problème, car ces contenus ne respectent pas toujours la déontologie journalistique. Les journaux sérieux font ainsi face à la concurrence de sites et de comptes qui propagent des informations erronées ou qui utilisent le clickbait. Certaines rédactions doivent alors augmenter leur nombre d’articles publiés quotidiennement souvent au détriment de la qualité pour générer des clics, car il est essentiel d’attirer des visiteurs sur le site pour obtenir des revenus publicitaires. D’autres journaux, comme le nôtre, ont choisi d’instaurer un paywall pour garantir nos principes, ce qui signifie que les lecteurs doivent s’abonner pour accéder à nos articles. Cependant, il peut être difficile de convaincre les gens de payer pour de l’information alors qu’ils ont accès à d’autres journaux gratuitement.

A. T – Pensez-vous que le journalisme numérique a un impact différent sur la société par rapport au journalisme traditionnel ?

T. H – De nombreuses études se penchent sur la crédibilité des différents supports médiatiques, mais l’attitude des individus face à l’information dépend largement de leur esprit critique. Lorsque l’on ne s’interroge pas sur l’origine d’une information ou sur sa source, qu’elle provienne d’internet ou d’un journal télévisé, on s’expose au risque de se laisser tromper. C’est pourquoi l’éducation aux médias est cruciale. De nombreux médias, presse écrite traditionnelle, radio, web ou télévision sont rachetés par des entreprises ayant des intérêts à défendre. Par exemple, en France, les médias acquis par le milliardaire Vincent Bolloré ont souvent relayé les positions de l’extrême droite lors des élections. Au Luxembourg, par le passé, certains journaux étaient étroitement liés à des partis politiques, comme le Wort et le CSV. Bien que cela soit en contradiction avec l’éthique journalistique, cette pratique reste malheureusement courante. Quel que soit le support, il est important que les lecteurs effectuent leurs propres recherches, utilisent leur esprit critique et se posent les bonnes questions lorsqu’ils découvrent une nouvelle information.

A. T – Pensez-vous que les fake news sont plus présentes de nos jours qu’il y a 10-20 ans ? Est-ce dû à l’utilisation massive des réseaux sociaux ?

T. H – Les fake news ne sont pas un phénomène nouveau. Il est certain que l’information, qu’elle soit fausse ou qu’elle joue sur les émotions, se propage aujourd’hui beaucoup plus rapidement qu’il y a 10 ou 20 ans. Cela est principalement dû aux algorithmes des réseaux sociaux et à certains médias qui relaient parfois des informations sans les vérifier et au nombre croissant de personnes qui utilisent internet et les réseaux sociaux aujourd’hui.

A. T – Avez-vous des conseils spécifiques pour les jeunes journalistes concernant la désinformation ?

T. H – Aucune information n’est véritablement gratuite. Lorsque nous recevons des informations d’une entreprise, d’un politicien ou d’un citoyen, il est essentiel de se poser la question : « Pourquoi cette personne souhaite-t-elle partager cette information ?». Cette réflexion doit guider notre recherche par la suite.

Il est également crucial de vérifier ses sources. Qui fournit l’information ? Si cela provient d’un média, est-ce un média qui défend une position particulière, et cela influence-t-il la manière dont l’information est présentée ? Quand cette information a-t-elle été publiée ? Y a-t-il eu des mises à jour ? L’information est-elle formulée de manière neutre ou en utilisant un langage émotionnel ?

Et bien sûr il faut consulter plusieurs sources et ne pas se limiter à un seul aspect du sujet. Par exemple, si une organisation critique une entreprise, il est important de donner à cette dernière l’opportunité de répondre à la critique.

Un conseil que l’on m’a donné, lorsque j’ai commencé, est de lire un maximum de journaux provenant de différentes régions du monde, ainsi que des publications locales. Cela permet de se tenir informé des événements, de comprendre qui écrit sur quoi et aide à se forger une idée claire de la situation. Nous pouvons alors comparer les informations et les positions sur divers sujets. De plus, il est essentiel de faire la distinction entre faits et opinions.

Enfin, si je peux vous recommander une chaîne sur ce sujet, c’est Esprit Critique