Retour sur l’exposition Xanti Schawinsky : Play, Life, Illusion présentée au Mudam du 12 juillet 2024 au 5 janvier 2025 retraçant la production de l’artiste suisse Alexander dit “Xanti” Schawinsky et posant la question de l’émergence de la multidisciplinarité dans l’art.
Cette retrospective met en scène l’expérimentation constante de Xanti Schawinsky caractérisée par l’exploration de diverses techniques et disciplines artistiques. Chez Schawinsky, cette volonté s’illustre notamment par la volonté de briser les frontières entre le théâtre et l’art pictural. Pour cela, il conçoit lui-même des décors de théâtre pour des adaptations de pièces de théâtres classiques comme Faust de Goethe ou Le Malade imaginaire de Molière. Il innove également en créant le „Spectrodrama“, une série de tableaux théâtraux précurseurs du théâtre total où il conçoit tout : des costumes aux décors jusqu’à la mise en scène. Ce projet lui permet de développer sa conception de ce à quoi devait ressembler le théâtre de son époque, se rapprochant des performances actuelles. Le projet « Spectrodrama » de Schawinsky s’inscrit dans le courant artistique du Bauhaus, fondé en 1919 à Weimar par Walter Gropius. Cette école artistique allemande souhaitait rétablir l’équilibre entre l’art considéré comme « officiel » et l’artisanat afin de favoriser l’interaction entre les différentes formes d’art.

Traditionnellement, l’art a été catégorisé en diverses disciplines : peinture, musique, chant, sculpture, théâtre … dont les frontières étaient clairement établies. Cette conception de l’art a notamment été véhiculée par certaines institutions dont l’Académie royale établie au XVIIe siècle. Cependant, à partir du XIXe siècle, les frontières entre les disciplines tendent à s’assouplir, à se confondre, donnant lieu à l’émergence de la multidisciplinarité dans l’art, un enjeu central de la production artistique moderne et contemporaine. Les romantiques allemands théorisent à cette période le concept du Gesamtkunstwerk, l’art total. L’art total vise l’utilisation de diverses disciplines artistiques avec une porté multi-sensorielle, philosophique, symbolique et métaphysique. Ce concept est notamment incarné par le compositeur allemand Richard Wagner, qui créait ses opéras, du texte à la musique, de la mise en scène à l’architecture du théâtre en lui-même. Il était également persuadé que l’opéra, ainsi que l’art en général, avait la propriété de transformer les sociétés à l’instar de la catharsis dans la tragédie grecque.
C’est en 1883, avec Le Cri d’Edvard Munch que les frontières entre les disciplines sont pour la première fois véritablement brouillées. Ce tableau est la première synesthésie connue où la peinture, art muet par excellence, transmet un phénomène acoustique déroutant, traduisant l’effroi, la douleur et l’étonnement du personnage central.

En 1907, le peintre tchèque et pionnier de l’abstraction Frantisek Kupka peint la Gamme jaune, un tableau caractérisé par une composition esthétique singulière : l’oeuvre picturale est conçue comme une partition de musique. Sept teintes de jaune sont majoritairement utilisées et renvoient aux sept notes de musique tandis que les nuances de ces dominantes de jaune peuvent être perçues comme tout autant d’altérations musicales. Cette oeuvre peut être mise en parallèle à celle du synesthète Vassily Kandinsky, chez qui la stimulation de l’ouïe conduisait à la sollicitation de la vue, car il associait des couleurs et des formes à la musique qu’il entendait.
Au XXe siècles, les frontières entre les différentes disciplines artistiques se sont peu à peu confondues. Ces nouvelles pratiques artistiques remettaient en cause la séparation distincte entre les formes artistiques. Elles étaient notamment qualifiées par les nazis allemands d’« Entartete Kunst » ou « art dégénéré », une forme d’art qu’ils souhaitaient détruire au profit d’un retour au classicisme allemand. Sous la pression des allemands, l’école du Bauhaus est contrainte de fermer en 1933. Xanti Schawinsky quitte alors l’Allemagne, rejoint l’Italie, puis part aux Etats-Unis où il intègre le Black Mountain College. Il y poursuit sa quête de multidisciplinarité en tant que professeur puis se désintéresse du théâtre pour se consacrer entièrement à l’expérimentation de nouvelles techniques picturales. Il s’initie notamment à la photographie et s’intéresse plus particulièrement au processus même de création d’une oeuvre picturale. L’un de ses travaux les plus représentatifs est la série de tableaux « Track paintings » où Xanti Schawinsky peignait la toile en roulant dessus avec sa voiture, dont les roues étaient enduites de peinture.

À l’occasion de la retrospective de Xanti Schawinsky, le Mudam a fait appel à l’artiste britannique Monster Chetwynd pour concevoir une installation réinventant l’oeuvre de Xanti Schawinsky. Pour le vernissage, l’artiste a conçu une performance qui réinterprète la série « Spectrodrama » et les travaux sur le théâtre de Xanti Schawinsky en reprenant les costumes et motifs récurrents du théâtre en mouvement. Le travail de Schawinsky trouve ainsi un écho dans la production artistique actuelle.

Photographies de l‘exposition et de la performance : Carla R.
