Le jeudi 10 octobre 2024, le philosophe et écrivain Charles Pépin a donné une conférence ouverte au public et aux élèves de première spécialité humanités, littérature et philosophie, ainsi qu’aux terminales. L’auteur de l’ouvrage La confiance en soi, une philosophie a répondu aux questions d’ALETHEIA.
Vous expliquez dans votre ouvrage qu’oser fait partie de la confiance en soi. J’ose alors cette question : avez-vous confiance en vous ? Comment avez-vous construit votre rapport à la confiance au fil de votre parcours personnel et professionnel ?
Très bonne question ! J’ai confiance en moi au sens où je redéfinis la confiance dans mon livre1, c’est-à-dire, et je vais en parler dans la conférence qui vient, que la confiance en soi, pour moi, est plutôt une confiance en autre chose que soi. Par cela, je veux dire qu’elle peut être une confiance en la vie, en les autres, en l’action, en l’avenir, beaucoup plus qu’en moi en tant qu’individuel, avec mes compétences. Donc, en ce sens, j’ai effectivement confiance, mais j’aurais tendance à dire que j’ai confiance tout court, plutôt que de dire que j’ai confiance en moi. Pour répondre de façon plus personnelle sur un chemin de vie, j’étais plutôt un enfant puis un adolescent inhibé, timide. Je rougissais beaucoup dès que l’on me parlait et j’avais du mal à prendre la parole à l’oral à l’école. Mais je me souviens que je me suis très vite fait violence, que je suis toujours allé contre ce problème de confiance, et j’ai toujours été dans une logique pour conquérir une confiance qui, finalement, n’était pas là. D’ailleurs, je pense que la confiance n’est jamais innée, ni génétique ; c’est une chose qui se développe dans une aventure, un processus, une histoire, et c’est cela qui est intéressant, car elle peut se gagner et se perdre. Il y a une phrase de Sartre à ce sujet, qui dit que « La confiance se gagne en gouttes et se perd en litres ».

Comment s’est construite cette réflexion autour de la confiance en soi que nous retrouvons dans votre ouvrage ? Vous êtes-vous aidé d’expériences personnelles, de questionnements, d’incompréhension face aux « méthodes » répandues pour avoir confiance en soi, en plus des nombreux portraits inspirants et concepts philosophiques que vous étudiez ?
Bien sûr ! Je me suis beaucoup intéressé à autre chose qu’à la philosophie, notamment à la psychologie. Je suis allé chercher, pour critiquer ces méthodes violentes de coach.es que vous évoquez, beaucoup de paroles de philosophes, mais aussi beaucoup de paroles de psychologues et de psychanalystes, qui ont une approche de l’humain beaucoup plus complexe, et qui ne supportent pas cette idée qu’il faut cultiver sa confiance comme un muscle, simplement s’entraîner, se préparer, et développer sa compétence, pour aboutir à une confiance qui ne serait qu’une conséquence de la compétence. Et toute ma thèse consiste à montrer que la compétence est très importante, mais qu’elle n’est pas la confiance. Souvent, ces deux choses sont confondues, c’est-à-dire que, comme nous savons très bien faire quelque chose, nous pensons le faire avec confiance. Mais en réalité, la confiance n’est pas de savoir très bien faire quelque chose. Cela ne constitue que la compétence. La confiance, c’est d’être en confiance dans un terrain qui n’est pas celui de notre compétence, dans lequel nous ne serions pas habituellement en confiance, donc soit d’aller au-delà de sa compétence, soit, et c’est un cliché que l’on entend souvent, sortir de sa zone de confort, et même plutôt, je pense, l’élargir. L’enjeu de la confiance est donc complètement différent de celui de la compétence. Par exemple, si nous avons déjà réussi quelque chose quarante-neuf fois, et que l’on l’essaye à nouveau une cinquantième fois, cela ne s’appelle pas de la confiance, mais de la compétence. Donc la réelle question est : que faut-il ajouter à une logique de compétence pour que celle-ci devienne de la confiance ? Il faut ajouter tout le reste : la dimension relationnelle, la dimension mystique, la dimension spirituelle, mais aussi la dimension de l’action. Cette dernière dimension est très importante car souvent, nous croyons que l’action n’est que la conséquence de la réflexion. Donc, les individus trop perfectionnistes n’arrivent pas à se lancer, car il pensent qu’ils n’ont pas encore assez réfléchi avant d’agir. Or, toutes les théories de l’action, aussi bien en psychologie qu’en sport ou en philosophie, nous rappellent que l’action compense la vérité en elle-même. La réflexion est importante et utile, mais elle ne contient pas la valeur ni la clé de l’action. Et la confiance est, pour moi, résumée dans une phrase, que j’adore, du philosophe Alain, qui est : « Le secret de l’action, c’est de s’y mettre ». Donc le principal obstacle, la principale entrave à la confiance, c’est le perfectionnisme et le fait que nous voudrions toujours être plus prêt.es, parfaitement prêt.es, avant d’y aller. Or, le monde change très vite et nous ne pouvons pas anticiper les réactions des gens, donc nous ne pouvons pas être parfaitement prêt.es. Le secret de la confiance est de consentir à une part d’impréparation. Cependant, cela n’empêche pas de se préparer. Mais il faut se préparer de manière à pouvoir accepter in fine la part d’impréparation qui va rester.

Dans votre livre, vous évoquez et expliquez la théorie des dix-mille heures, tout en la nuançant, car les dix-mille heures peuvent être remplies d’un « instinct de peur » ou, au contraire, d’un « instinct de l’art » (Nietzsche). Y aurait-t-il donc une « méthode » pour avoir confiance en soi, ou plutôt un ressenti précis qui nous mènerait vers cet état d’esprit ?
Oui, je pense qu’il y a une attitude qui nous mène vers la confiance en soi, notamment en essayant de développer trois dimensions en même temps. Il faut évidemment développer et accroître la compétence, mais sans s’enfermer dedans. Ensuite, il faut développer et la bonne relation aux autres, c’est-à-dire, se tourner vers les personnes qui nous mettent en confiance, qui nous font confiance, qui nous donnent des ailes, et absolument trancher les relations toxiques avec les personnes qui ne se grandissent qu’en nous diminuant. La troisième direction est celle de la confiance mystique, qui consiste à s’ouvrir le plus possible à l’énigme de la vie sans en avoir peur, c’est-à-dire la beauté, l’art, la spiritualité, l’amour, et bien d’autres choses, qui en vérité font peur, mais en développant une confiance autre chose que nous-mêmes, en quelque chose de plus grand, nous aurons d’autant plus confiance en nous. Tout cela dessine une méthode à laquelle je crois qu’il faut ajouter quelque chose de très important qui est l’admiration. L’admiration, quand elle est vraiment bien vécue, qu’elle est appréhendée au sens grec, et qui n’est pas de la copie, de l’imitation ou de l’envie, est très importante pour prendre confiance en soi. La plupart des gens que je rencontre qui n’ont pas confiance en eux me disent, comme par hasard, qu’ils n’admirent personne. Cela veut dire que rien ne les élève. Aujourd’hui, il y a un nivellement égalitariste, et on le voit bien avec, par exemple, la plupart des youtubeurs, humoristes et influenceurs stars, qui sont le plus suivi.es par les jeunes, et qui mettent en avant leur talent pour narrer la quotidienneté des gens. Mais je pense qu’il est impossible d’admirer ces êtres comme eux, car ils nous font rire et voient bien les choses. En réalité, ce qui nous élève, ce sont des voix qui ne proposent pas de narrer notre quotidienneté, mais de nous montrer qu’il est possible de devenir singulier dans un monde de conformistes. Donc, dans l’admiration de la singularité et du talent de l’autre, la confiance consiste à se nourrir de la possibilité d’exprimer son talent singulier. Nous ne pouvons pas réellement admirer quelqu’un qui nous ressemble. Les membres de la communauté de ces youtubeurs sont souvent fasciné.es par le nombre d’abonné.es, ou par le parcours atypique qu’ils ou elles ont. L’admiration est autre chose que le fait d’être impressionné. Nous manquons d’admiration aujourd’hui.

Finalement, est-il nécessaire d’avoir confiance en soi ? Selon vous, que change concrètement la confiance en soi à notre vie et à nos relations ?
Je dirais qu’il est nécessaire d’avoir confiance tout court, plus que d’avoir confiance en soi. La confiance change tout : le rapport à l’action, le rapport au temps, le rapport aux projets, le rapport aux troubles psychiques que l’on peut avoir, et, finalement, le goût de la vie, qui pouvait nous paraître éprouvante ou fatigante, mais qui, lorsque l’on a confiance, nous met en joie. C’est pourquoi il ne faut absolument pas laisser ce thème de la confiance en soi accaparé par des gens violents, qui parlent de reprogrammer l’être humain ou de simplement s’entraîner, et absolument se réapproprier ce thème avec une approche plus douce et plus tendre, qui peut être philosophique, mystique ou psychologique. Donc, la confiance est importante, mais le doute aussi. La confiance n’est pas le fait d’être sûr.e de soi, ni d’avoir éradiqué le doute, car toute personne intelligente doute. Lorsque l’on voit ces « apôtres » de la confiance en soi qui expliquent, dans leurs méthodes, qu’il faut être tellement prêt.e que l’on ne va pas douter, et avoir tellement répété son discours, par exemple, que l’on ne va pas douter que tout va bien se passer, c’est de la bêtise absolue, car les choses peuvent toujours mal se passer. Il y a de l’imprévu en permanence, il suffit de regarder les actualités pour comprendre cela. Toute ma thèse consiste à expliquer qu’il ne faut pas confondre la confiance et le fait d’être sûr.e de soi-même. Être sûr.e de soi relève souvent d’un aveuglement ou d’une bêtise. Il faut apprivoiser son doute et avoir un bon rapport à son doute. Le mauvais rapport au doute se construit quand le doute nous paralyse et nous dévore, tandis que le bon rapport au doute s’installe lorsque le doute nous inquiète assez pour nous alerter et faire en sorte que nous ayons confiance malgré tout. J’aurais presque envie de dire que c’est une confiance dans le doute, et en le doute lui-même. Car si nous étions certains que tout ira bien ou encore que quelqu’un se comportera bien, si cela est programmé, nous n’aurions même pas à avoir confiance en une situation ou à une personne, ce qui prouve précisément que la confiance ne prend son sens que dans l’incertitude. Donc, nous nous trompons complètement quand nous voulons apaiser les individus en leur donnant des certitudes. Je vais donner un très bon exemple : certains élèves ont très peur de prendre la parole en public ou de faire un exposé, ils/elles tremblent, ont les mains moites, rougissent. Et parfois, ces élèves prennent des coach.es scolaires pour améliorer cette situation, et ces coach.es leur donnent un conseil terrible, qui est qu’ils/elles vont tellement s’entraîner qu’ils/elles vont connaître leur exposé par cœur, et qu’ils/elles ne pourront pas échouer. Or, c’est le contraire : en réalité, il ne faut pas connaître son exposé par cœur, il faut être en relation avec le public, sentir les énergies, voir les yeux, créer des sourires, pour nous permettre de rebondir si quelqu’un s’endort, si un téléphone sonne, ou encore si quelqu’un fait un malaise. Car si nous sommes dans l’extrême préparation, nous allons perdre nos moyens au moindre imprévu. Donc, le conseil habituel, qui est de toujours surpréparer, est un conseil dramatique, car la vie est faite d’imprévus, mais aussi parce que ce qui compte, c’est de bien réagir à l’imprévu. Mais si nous sommes surpréparés, nous réagirons mal à l’imprévu. Ce matin, Rafael Nadal a annoncé sa retraite. C’est une triste nouvelle. Il représente selon moi un sublime exemple pour illustrer ce que j’ai expliqué sur la surpréparation. C’est un sportif qui se prépare beaucoup et travaille beaucoup, évidemment. Mais, à chaque fois, il dit qu’il ne sait pas comment ses matchs et autres tournois vont se dérouler, avec un adversaire qu’il ne connaît pas, qui est plus jeune que lui ou qu’il n’est pas habitué à rencontrer. Il faut donc avoir l’humilité de se préparer au maximum, sans pour autant nourrir l’illusion contre-productive que nous serons parfaitement prêt.es, et que nous aurons tout anticipé et tout prévu. Cette façon de réfléchir est le drame d’une société qui survalorise l’anticipation, la prévision, le tableur Excel, et, depuis peu, l’intelligence artificielle et la quantification. Et je suis conscient d’être très minoritaire sur ce sujet…
Valentina V.
Photographies : Valentina V.
- La confiance en soi, une philosophie, Allary éditions, mars 2018 ↩︎
