Maître Jacqueline Laffont-Haïk, avocate pénaliste au Barreau de Paris rencontrée lors d’un stage au sein du cabinet d’avocat.es parisien Haïk et associés, a accepté de parler à ALETHEIA du métier d’avocat.e pénaliste, de son parcours, et de ses combats.
Considérée comme une « lame » par ses confrères et consoeurs, Jacqueline Laffont-Haïk plaide dans des procès à forts enjeux et a notamment défendu Charles Pasqua, Alexandre Benalla, ou encore Nicolas Sarkozy dans de multiples dossiers sensibles.

Valentina V. – Je tiens tout d’abord à vous remercier d’avoir accepté cette interview.
Jacqueline Laffont-Haïk – C’est avec plaisir, Valentina.
Valentina V. – Pour commencer, pourriez-vous présenter brièvement votre parcours et comment vous en êtes arrivée à exercer la profession d’avocate pénaliste ?
Jacqueline Laffont-Haïk – Je suis devenue avocate pénaliste parce que, lorsque j’ai décidé de faire du droit, la seule profession qui m’intéressait était celle d’avocat.e pénaliste. Avant cela, j’avais plutôt un parcours littéraire : j’ai fait une classe préparatoire hypokhâgne après mon baccalauréat, que j’ai d’ailleurs obtenu très jeune. J’adorais la philosophie et le français, j’aimais les matières littéraires. Et puis, très vite, je me suis dit que je n’avais pas envie d’être dans l’enseignement. Donc, je me suis retrouvée en droit parce que je ne savais pas très bien quoi faire, et à partir du moment où j’ai fait du droit, cela a été une révélation : j’ai voulu être avocate pénaliste. C’était la seule chose qui m’intéressait, et absolument rien d’autre.
Valentina V. – Dans le podcast « Femmes puissantes », vous expliquez à Léa Salamé que « la puissance est une force intérieure au service d’un combat ». Quel est votre combat, en tant qu’avocate pénaliste ?
Jacqueline Laffont-Haïk – Mon combat est celui de la défense. Et quand j’emploie le mot « combat », je pense que je n’exagère pas, je pense que ce n’est pas un mot qui est détourné de son sens. Dans le cadre du procès judiciaire, une grande machine se met en place, une machine dans laquelle les droits de la défense sont de plus en plus protégés, mais une machine dans laquelle les personnes qui y sont confrontées ont besoin d’être assistées et défendues. C’est pour cela que je pense qu’effectivement, c’est un combat. Et quand je parle de puissance, surtout par rapport à cette question qui m’a été posée par Léa Salamé, je n’ai pas pour ambition d’être une femme puissante et je ne me ressens pas comme une femme puissante. En revanche, j’espère que la force que je mets dans le métier que j’exerce est puissante.
Valentina V. – Dans le roman de votre consœur Maître Julia Minkowski et de la journaliste Lisa Vignoli intitulé « L’avocat était une femme », vous relatez le « procès de votre vie », celui qui vous a marquée : le procès de l’homme politique Charles Pasqua. Pourquoi considérez-vous ce procès comme tel ?
Jacqueline Laffont-Haïk – En réalité, il y aurait des dizaines et des dizaines de procès « de ma vie » parce que, quand je suis dans un procès, au moment où je suis dans ce procès-là, c’est à chaque fois le procès de ma vie. Ensuite, quand on vous pose ce genre de question, il faut faire un choix. Ce choix, je l’ai fait parce qu’il y avait plusieurs procès, et qu’il s’agissait de la défense d’un homme qui avait été un homme puissant, un homme politique, mais un homme qui se trouvait encerclé par une série d’affaires judiciaires, et qui avait donc perdu de cette puissance. C’était un homme qui était devenu fragile, fragilisé, en tous cas, par ces poursuites. Les procédures ont duré une quinzaine d’années, donc l’accompagnement de cet homme tout au long de ces procédures a été extrêmement long. Et en réalité, c’est un pan de vie, c’est un homme que j’ai accompagné jusqu’au soir de sa vie, parce que la dernière décision qui a été rendue pour lui l’a été alors qu’il venait de mourir, et qu’elle l’aurait blanchie des accusations dont il avait fait l’objet. Donc c’est pour moi un souvenir très fort, parmi d’autres, bien évidemment.

Valentina V. – Quel(s) individu(s) admirez-vous particulièrement ou considérez-vous comme modèle(s) ?
Jacqueline Laffont-Haïk – J’admire les gens qui se sont battus pour des belles causes durant leur vie, j’admire Nelson Mandela, j’admire la première femme qui est devenue avocate parce que ça n’était pas facile, j’admire les femmes qui se sont hissées à des fonctions politiques dans des pays où cela n’était pas envisageable. Dans ma profession, j’ai beaucoup admiré l’homme qui est le père de mes enfants, parce que c’est auprès de lui que j’ai appris et que je pense que c’était un immense avocat qui, malheureusement, a été frappé par la maladie trop tôt. J’aimais sa façon de défendre sans concession, sans que la morale n’interfère, même si c’était quelqu’un de très moral par ailleurs, et la façon qu’il avait de prendre à bras le corps les personnes qui venaient le voir. Ensuite, il y a Henri Leclerc, qui pour moi est un exemple d’humanité, parce que je pense qu’on ne peut pas faire ce métier de pénaliste sans humanité. Henri Leclerc déborde à la fois de culture, d’intelligence et de cette humanité qui est toujours mise au service de la défense. Et puis, il y a ceux que je n’ai pas connus, tous ces avocat.es qui ont été des modèles. J’ai lu les mémoires de Maurice Garçon, qui sont extraordinaires et dans lesquelles on retrouve tellement de choses encore présentes aujourd’hui. Donc, il y a beaucoup de grands avocat.es qui ont montré la voie. J’ai beaucoup admiré Hervé Temime, qui était un ami très cher aussi. Et en réalité, il y a une multitude de personnes, que l’on entend ou que l’on lit, qui viennent enrichir notre parcours ainsi que notre façon de vivre ce métier et de l’exercer.
Valentina V. – Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un individu souhaitant exercer la profession d’avocat.e pénaliste ?
Jacqueline Laffont-Haïk – Le premier conseil, c’est que ça n’est pas impossible, et que si c’est un choix, il est nécessaire que ce soit un choix que je dirais pensé, pesé et compris, parce qu’il ne faut pas se tromper sur ce qu’est ce métier, avec ses difficultés, ses insuffisances, et ce pouvoir limité qui est le nôtre, car nous ne sommes qu’une petite partie de ce combat judiciaire et de ce processus dont je parlais. Ce n’est pas toujours un combat au sens militaire et violent du terme, mais c’est un combat dans la mesure où nous sommes là pour défendre des droits et une justice plus grande et plus exigeante. Donc, le conseil que je donnerais, c’est d’aborder ce métier, non pas par la vision qu’on peut en avoir aujourd’hui, par exemple à travers quelques avocat.es médiatiques que l’on peut voir sur les plateaux, ou d’affaires dont on parle. Je pense que le vrai pénal, la vraie défense pénale, ne commence à être appréhendée et comprise que lorsqu’on défend des anonymes, des personnes qui se retrouvent dans des situations difficiles comme l’isolement, qui ne sont pas du même monde que nous, et lorsqu’on ouvre sa porte à tout le monde. Il faut savoir que c’est un métier qui requiert aussi beaucoup de travail, de technicité, d’honnêteté, de rigueur et d’humanité. Et si on a tout cela et, surtout, cette envie-là, il faut foncer.
Valentina V. – Merci beaucoup !
Jacqueline Laffont-Haïk – Je t’en prie !
Valentina V.
Photographies : Valentina V.
