Stéphane Bern : « Le Luxembourg m’a porté chance ».

Le jeudi 27 juin, l’animateur franco-luxembourgeois Stéphane Bern a été invité au lycée Vauban pour célébrer les 40 ans de l’établissement scolaire. Il a accepté de donner une interview à ALETHEIA.

Photo : Carla R.

Carla : Bonjour, bienvenue et merci d’accorder cette interview à ALETHEIA !

Stéphane Bern : Avec plaisir, Carla.

Carla : Pour commencer, peut-être quelques mots sur vous ? Vous êtes journaliste, présentateur à la radio et à la télévision, auteur, acteur et spécialiste des familles royales. Est-ce bien cela ?

Stephane Bern : Entre autres. C’est-à-dire, au fond, peut-on résumer une personne à quelques mots ? C’est très difficile. J’étais journaliste et puis vous voyez, comme je fais tellement d’autres choses, on m’a supprimé ma carte de presse. Donc, est-ce que je peux encore considérer que je suis journaliste ? Oui, parce que je le suis dans l’âme. Ce qui m’occupe davantage, c’est la télévision, la radio, la presse écrite et puis la défense du patrimoine, mais ce n’est pas un métier, c’est une vocation, une passion et ça fait presque partie du domaine de l’intime même si c’est connu par tous les français. Mais ça me prend plus de temps que d’être acteur. Je suis acteur deux mois par an, ça va d’ailleurs bientôt arriver courant octobre novembre.

Carla : Parmi toutes vos activités, laquelle préférez-vous ?

Stéphane Bern : Ça peut paraître bizarre, mais ce que je préfère au fond, c’est l’écriture. D’abord, parce que c’est mon premier métier, journaliste de presse écrite et puis écrire des livres. Ce qui est assez frustrant, c’est que pour écrire des romans, il faut beaucoup de temps. Je vois les romanciers, c’est un travail de longue haleine, il faut passer des journées entières à écrire et malheureusement, je n’ai pas le temps. Je vais essayer, cet été, d’y travailler. J’aime écrire, c’est mon premier métier. Chercher le bon mot, la bonne formule, c’est ça que j’aime, j’ai toujours aimé ça, c’est donc mon activité préférée. Maintenant, vous savez ce qui est difficile, c’est que les gens vous demandent de faire beaucoup d’autres choses ; on me demande davantage sur le patrimoine, la télé, la radio et d’autres activités encore, et je les fais toutes avec autant de plaisir. C’est la même matière première que vous affinez différemment. Au fond, c’est difficile de vous répondre parce qu’on aime autant son père et sa mère, et j’aime autant la télé, la radio et la presse écrite.

Carla : Quelle relation entretenez-vous avec le Luxembourg ?

Stéphane Bern : Une relation passionnelle. Je pense que tous les enfants ont un royaume enchanté de l’enfance : la maison de leurs grands-parents, la maison où ils ont grandi, la maison où ils passaient leurs vacances avec leurs cousins. Moi, il se trouve que ce royaume enchanté de l’enfance, c’est un authentique royaume, ou plutôt un grand-duché : c’est le Luxembourg. C’est à Luxembourg, chez mes grands-parents maternels, que la discipline familiale se relâchait quelque peu. J’avais le droit de faire tout ce que je n’avais pas le droit de faire chez mes parents : regarder la télévision, me coucher tard, manger de la brioche, faire des choses, qui aujourd’hui paraissent, avec le recul du temps, 55 ans après, un peu ridicules. J’ai ressenti un attachement viscéral, à la fois d’abord pour mes grands-parents et pour ce qu’ils m’ont fait aimer de leur pays. Mon bonheur, c’était de venir au Luxembourg. Dès que je pouvais, je demandais à revenir. Je n’y ai jamais vraiment vécu, j’y ai passé beaucoup de vacances, toutes les vacances, et j’adorais venir chez mes grands-parents. Là, où on peut m’accuser, c’est d’avoir une vision sublimée, fantasmée du Luxembourg. Le Luxembourg a changé, il s’est modernisé, on a détruit des endroits et construit de nouveaux. Mais moi, je vois toujours le Luxembourg comme quand j’étais enfant. On ne guérit jamais vraiment de son enfance, disait l’auteur. Eh bien oui, on ne guérit pas de son enfance. C’est venir ici, passer une journée. C’est une sorte de plongée dans la nostalgie et dans mes souvenirs d’enfance. C’est beaucoup d’émotions : j’ai dû verser aujourd’hui une dizaine de fois des larmes parce que beaucoup de choses me bouleversent quand je suis ici.

Carla : Vous avez dit que le pays a beaucoup changé depuis que vous y allez. Y a-t-il quelque chose qui ne devrait pas changer ?

Stéphane Bern : Ce qui ne devrait pas changer, ce que j’aimerais qui ne change pas, c’est immatériel, c’est la tradition d’accueil des Luxembourgeois, la chaleur de l’accueil, le fait de se sentir au coeur de l’Europe, c’est cet esprit européen qui existe vraiment et qui a été le moteur de l’Europe. Les gens l’oublient mais Robert Schuman était luxembourgeois avant d’être français. Les pères fondateurs de l’Europe ont créé l’Europe à Luxembourg. Les Luxembourgeois ont toujours été profondément européens. C’est un carrefour entre les pays latins et les pays anglo-saxons. Un jour, le président Georges Pompidou a dit que s’il fallait choisir un chef d’Etat héréditaire pour l’Europe, ce devrait être le Grand-Duc de Luxembourg. J’étais assez d’accord avec cette idée parce que je trouve que c’est vraiment le plus européen de tous. En plus, il l’est par le sang. Il a le sang de tous les pays : portugais par son arrière-grand-mère, français par les Bourbons : il a du sang de toute l’Europe. Pour le reste, le patrimoine est resté dans son état. Et puis je trouve qu’ici qu’il y a une forme de gouvernement qui fait que les tensions s’apaisent plus facilement que dans les grands pays voisins. Pour le reste, le patrimoine est resté dans son état. Mais par moment, je me désole, tout à l’heure j’ai vu un café, où allait mon grand-père, qui est devenu une banque. Ils ont quand même gardé le nom du café…. On ne peut pas aller contre le temps.

Photo : C. Zaremba

Carla : Avez-vous un lieu préféré au Luxembourg ?

Stéphane Bern : Mon lieu préféré au Luxembourg, où est-ce que ça pourrait être ? Là où je vais à chaque fois, où je vais toujours me balader, c’est sur la Grand rue et la place d’armes parce que je revois encore le kiosque à musique. Et mon lieu préféré, c’est la vallée de la Pétrusse, enfin tout le Grund et le Pfaffenthal.

Carla : Avez-vous un lieu insolite à nous faire découvrir ?

Stéphane : La chose que j’aime bien faire avec des amis étrangers qui visitent le Luxembourg, c’est de les emmener dans le musée de la ville de Luxembourg, de prendre l’ascenseur à vérins hydrauliques et de descendre dans la forteresse, visiter les casemates du Bock, et toute la construction. Il y a là, à la fois, Sigefroi en 963 et Vauban évidemment au XVIIème siècle. C’est une belle plongée avec une vue sur la montée du Grund et du Pfaffenthal, j’aime beaucoup, et aussi sur Neimenster. Ça m’habite. Et puis, quand j’étais petit, je passais devant le palais grand-ducal et je me disais qu’un jour, j’aimerais rentrer à l’intérieur. Plus tard, j’ai souvent été invité à y entrer. Je n’ai donc pas de névroses avec Luxembourg, parce que tous mes rêves ont été accomplis. Ce que je n’oublie pas, c’est la dette de coeur envers Luxembourg. Tout ce que j’ai toujours rêvé de faire dans la vie est né ici. Ce qui a fait de moi un journaliste, c’est le premier article qu’on m’a demandé, qui portait sur le Luxembourg. Ensuite, tout s’est enchaîné. Donc le Luxembourg m’a porté chance. De ce point de vue-là, le Luxembourg m’a tout donné.

Carla : Justement, c’est au Luxembourg qu’est née votre passion pour l’histoire…

Stéphane : Oui, bien sûr, c’est au Luxembourg qu’est née ma passion pour l’histoire, pour les têtes couronnées. Pour l’histoire, c’est simple, j’avais un grand-père passionné par l’histoire et le seul de ses petits-enfants qui l’écoutait, c’était moi. Au moins, il m’a transmis sa passion pour l’histoire. Ma grand-mère aussi, du reste. Quand aux familles royales, les gens me demandent toujours en France « Mais pourquoi vous vous intéressez aux familles royales ? », Parce que, nous, on regardait Hei Elei Kuck Elei le dimanche et il y était relaté la vie de la famille grand-ducale. C’est moi à l’âge de dix ans qui rentre chez mes parents en France et qui dit « C’est qui notre grand-duc à nous ?  » « Non, non, on n’a pas de grand-duc, on a un président. » J’étais terriblement déçu. C’est comme l’air qu’on respire pour nous. J’ai été éduqué avec ma grand-mère qui m’expliquait que si le Luxembourg était indépendant, c’était grâce à la famille grand-ducale, qui avait protégé et garanti l’indépendance, la continuité historique du Luxembourg tout particulièrement pendant la Seconde Guerre Mondiale.

Carla : En parlant de la famille grand-ducale, pendant la fête nationale dimanche dernier, le Grand-Duc a annoncé qu’il nommait son fils lieutenant représentant en octobre. Avez-vous quelque chose à dire dessus ? Une interprétation ?

Stéphane : Oui, d’abord, ça m’a ému. Ça m’a ému de façon tout à fait surprenante. J’ai été pris par l’émotion parce que c’est une page qui se tourne. Je suis né sous le règne de la Grande Duchesse Charlotte, j’ai bien connu le Grand-Duc Jean et son épouse la Grande-Duchesse Joséphine Charlotte. J’ai évidemment suivi tout le parcours du Grand-Duc Henri et de la Grande-Duchesse Maria Teresa. J’étais là au moment de la cérémonie de Lieutenance-Représentante quand il a été nommé Lieutenant-représentant ; j’étais là au moment de l’abdication. J’ai assisté à tout comme un témoin privilégié. Évidemment, c’est une page qui se tourne, c’est une jeune génération qui arrive. Un jour, on va me demander aussi de passer la main. Il y a peut-être une projection… Je trouve que c’est le bon moment pour le Grand-Duc de faire ce choix dans un climat d’harmonie familiale qui est évident. Si vous voulez qu’on décrypte un peu, il a annoncé que les jeunes générations doivent aussi prendre le pouvoir . Il s’est concerté avec son épouse, son fils et sa belle-fille, et, ils ont décidé cette passation en douceur. Tous les frères et soeurs du grand-duc héritier étaient là pour montrer leur soutien, leur appui ; j’ai trouvé cela très bien, une famille soudée, au service du pays et puis les choses se font dans une transition calme, sereine, harmonieuse. Rien ne presse. Lieutenant-Représentant, cela veut dire que le Grand-Duc peut déléguer une partie de ses pouvoirs de représentation. L’abdication aura lieu dans deux, trois ou quatre ans. La transition va se faire en douceur, ce qui nous permettra en octobre 2025 de célébrer les 25 ans de règne du Grand-Duc et de la Grande-Duchesse.

Carla : Vous êtes ici pour les 40 ans du lycée Vauban. Avez-vous un message à faire passer aux élèves ?

Stéphane : Le message à faire passer aux élèves, c’est, tout d’abord, que Vauban est un symbole. Vauban est un symbole de la relation franco-luxembourgeoise. Certes, il a d’abord pris la ville mais ensuite il a embelli et rénové la forteresse. Elle est véritablement devenue cette Gibraltar du Nord grâce à Vauban. Mais Vauban, c’était un homme qui était avant tout, et c’est ce que je dirai en quelques mots tout à l’heure, un humaniste, un ingénieur et un mathématicien. Il avait toutes les compétences. C’était l’un des plus grand génies de son temps. Il avait cette capacité à transmettre. C’est-à-dire qu’ici, on est dans le temple du savoir ; le lycée Vauban c’est cela. Ce qui est important c’est de transmettre aux jeunes générations; d’abord grâce à ce nom de Vauban qui sonne l’amitié franco-luxembourgeoise mais qui est aussi un des plus grands génies du XVIIe siècle en France. C’est d’ailleurs lui qui a suggéré à Louis XIV de créer un impôt sur le revenu. Louis XIV a dit : « Mais c’est quoi ça ? ». Et pourtant, c’est lui qui a parlé pour la première fois d’impôts sur le revenu… Vauban il savait tout faire, il était dans toutes les disciplines. Grâce à lui, j’ai d’ailleurs appris un mot : la poliorcétique. C’est l’art de faire le siège d’une ville. Donc, merci Vauban! Je suis très attaché à Vauban, comme au Luxembourg. La forteresse de Vauban est inscrite à l’UNSECO, c’est un beau symbole. Et puis, je suis très attaché à ce lycée Vauban parce que j’ai eu la chance de venir causer ici à la veille de la fête nationale et que j’ai rencontré, l’année dernière, des élèves avec qui j’ai eu une relation très forte. Je suis très content de revenir ici un an après. Donc le message c’est : ne perdez pas votre jeunesse, au contraire, on a tout à y gagner, à y apprendre. C’est un livre ouvert et ce pays l’est aussi. C’est comme un livre d’histoire, tout y est à prendre et à apprendre et, bien sûr, à faire prospérer parce que c’est un bagage qui est un passeport pour la vie.

Carla : Merci beaucoup !

Stéphane : Merci !

Carla R.