La bande dessinée voit son succès croître depuis les années 2000. En 2019, la vente de bandes dessinées représente 15% du marché grand public de l’édition française. Élargissant de plus en plus son public cible et ses thématiques, la BD adopte une fin éducative et informative. Les auteurs vont même jusqu’à défendre l’idée que ce format permet de rendre la culture plus accessible.
Un accès inégalitaire
D’après une étude menée par le ministère de la culture, aujourd’hui près de 53% des français estiment que les inégalités culturelles sont très ou assez fortes. Ce constat a plusieurs causes. En premier temps, l’éloignement géographique des structures et lieux dédiés à la culture comme les musées, théâtres ou bibliothèques. Les personnes vivant en banlieue ou encore en campagne doivent parcourir plus de distance, pour s’y rendre, puisqu’ils sont généralement concentrés au centre des villes. S’ajoute à la distance la problématique du transport, difficilement accessibles dans ces zones. Ensuite, force activités culturelles sont payantes. Un ticket pour un match de foot, un concert ou encore une exposition a un coût. Enfin, moins évidente et plus vicieuse, intervient la barrière liée aux classes sociales. Le stigma autour de certaines activités culturelles comme l’opéra ou encore le ballet, les peignant comme des passe-temps pour personnes aisées, retient les jeunes ainsi que les personnes de classes sociales moins aisées de se les approprier. En effet comme le montre Basil Michel dans la dernière partie de son livre Les quartiers culturels et créatifs : ambivalence de l’art et de la culture dans la ville post-industrielle ces individus ne se sentent pas légitimes de fréquenter les lieux à visée culturelle.
La bande-dessinée, une arme contre les inégalités
La bande-dessinée permet de lutter contre les barrières spatio-temporelles et économiques à l’instar des livres. Ils peuvent s’acheter, s’emprunter, et ont de plus en plus souvent un format numérique. Mais moins formelle qu’une étude, un essai ou livre documentaire, elle ouvre une nouvelle voie d’accès, moins classique, permettant de toucher à tout un nombre de disciplines. Le fait que son contenu soit consommable chez soi, permet également d’écarter tout le pan du sentiment de non-appartenance que l’individu peut ressentir en se rendant à des expositions, bibliothèques. Bien évidemment, la bande-dessinée ne peut pas remplacer un match de foot, ou un opéra, mais elle permet d’accéder à des savoirs divers et variés constituant le socle de la culture.
De nombreux avantages
En plus de supprimer certaines barrières, la bande-dessinée a de nombreux avantages. Elle permet de donner corps à un concept autrement abstrait, comme l’explique Jérôme Vermer, auteur des Philocomix. Elle permet à des personnes ayant des difficultés à comprendre l’abstraction de certains concepts philosophiques, d’accéder à ces modes de penser. Par ailleurs, Sébastien Gury, professeur de philosophie, ajoute que la bande-dessinée peut aussi être utilisée comme un outil pour faire de la philosophie. Il prend l’exemple de Tintin, pour introduire certains concepts, mais aussi de la réflexion. On pense notamment à la scène dans laquelle Milou hésite à prendre à os et qu’une partie angélique et qu’une autre mauvaise lui apportent des conseils contradictoires. C’est finalement cette capacité à traduire le réel de manière figurative qui fait la force de la bande-dessinée. Cette qualité ne concerne pas seulement le domaine philosophique de l’abstraction, mais aussi bien d’autres domaines comme la science et l’économie. La série de manga Les Brigades Immunitaires BLACK d’Akane Shimizu permet, de découvrir le fonctionnement du corps humain. Les auteurs traduisent des mécanismes complexes du corps humain en situations ludiques et imagées, facilitant leur compréhension et démocratisant ainsi l’accès à la science. Un autre exemple est notamment l’adaptation en BD de l’essai économique de Thomas Piketty, Capital et Idéologie. Ce changement de format se veut plus abordable et donc moins repoussant pour nombre de lecteurs, l’économie étant une discipline difficilement accessible.

Cette utilisation de la bande-dessinée pour faciliter la compréhension de certains concepts s’inscrit dans le phénomène de vulgarisation qui gagne de plus en plus en popularité, notamment en histoire. La bande-dessinée vulgarisant l’histoire, connaît un succès énorme, Histoire de Jérusalem de Vincent Lemire et Christophe Gaultier sortie en 2022 a vendu plus de 150 000 exemplaires à sa sortie et continue de faire parler d’elle. De nombreux auteurs utilisent aussi ce médium pour (re)faire découvrir certains personnages et leur destin dans une optique d’engagement, notamment dans l’histoire des femmes, encore trop invisibilisée. Margaux Gornik-Bartkowiak, professeure d’histoire à Vauban, soutient l’idée qu’il est possible d’utiliser la bande-dessinée comme source d’apprentissage de l’histoire, quoique cela dépende de leur qualité.

Et cette dimension historique met aussi en valeur un autre point fort de la bande-dessinée, qui est sa facilité à conter des récits, mais aussi à dénoncer. Sa force est l’image, elle touche directement le lecteur et marque, en usant notamment de la caricature.
Enfin elle permet de toucher un public plus large, puisqu’elle s’adresse aux adultes comme aux plus jeunes, qui sont d’ailleurs une majorité à consommer ce format.

Au-delà des avantages : qu’en est-il concrètement ?
La bande-dessinée permet d’ouvrir une nouvelle voie d’accès à des disciplines souvent peu accessibles. Mais elle peut aussi souffrir de stéréotypes, que ce soit par rapport à l’âge ou au genre. D’après l’enquête sur la bande-dessinée de Klara Lessard et Didier Pasamonik publiée dans Actua BD Enquête « les Français et la bande-dessinée » : un art qui fait l’unanimité, 77% des jeunes lisent des BD contre seulement 43% des adultes. De surcroît 60% de ces adultes sont des hommes. C’est un support qui n’est donc pas aussi universel qu’il n’y paraît. De plus, la bande-dessinée didactique n’est encore que trop peu développée. Toujours selon cette enquête l’album reste le type de bande-dessinée le plus consommé, et est plutôt abordée comme un moyen de se détendre, de prendre du plaisir. Il reste donc un long chemin à faire pour que la bande-dessinée didactique s’impose comme réel vecteur du savoir.
