Elles philosophent aussi !

Le 1 mars 2024 nous avons eu le plaisir d’accueillir Jérôme Vermer, qui est un des auteurs de la BD Libres de penser. Il participe aussi à la série Philocomix. ALETHEIA lui a posé quelques questions.

Photographie : Camille S.

Comment est-ce que vous avez fait pour travailler sur les femmes, dont vous retracez le parcours dans la BD « Liberté de penser » car on sait que ces femmes n’étaient pas très connues et qu’il n’y avait pas beaucoup de documentation. 

Jérôme Vermer – Pour certaines d’entre elles, et plus particulièrement celles qui remontent assez loin dans le temps, c’est Anne Hidou, l’autre autrice de cette BD et grande spécialiste d’histoire médiévale en France, qui s’en est chargée. Anne est agrégée d’histoire, elle a écrit cinq chapitres. J’ai travaillé sur quatre chapitre et Jean-Philippe en a fait un. Marie Dubois est l’illustratrice. Elle a, par exemple, évoqué des noms tel que Cléobuline que je ne connaissais pas. Le seul mot d’ordre auquel on se tient depuis toujours, notamment avec Philocomix, c’est de ne pas inventer des choses pour essayer d’avoir absolument un scénario. Tout ce qui est dans la bd est vrai. Le narratif est mis en images par Marie Dubois, ce qui permet de rendre plus accessible les différentes informations. Pour les recherches historiques, il aurait été difficile de le faire sans les connaissances universitaires et les ressources auxquelles Anne Hidou a accès.

Vous la connaissiez déjà avant ou vous aviez dû faire des recherches pour trouver quelqu’un de spécialisé dans ce domaine ? 

Jérôme Vermer – Anne, je la connaissais, et, en fait, on se complète assez bien. Jean Philippe Thivet, qui est à l’origine du projet, a constitué une équipe. Avec Libre de penser, il voulait mettre en avant des femmes savantes qui provenaient d’époques très différentes voir très anciennes. Je suis plus habitué à traiter l’histoire de la philosophie que le parcours intellectuel des femmes non philosophes, et surtout, je suis spécialisé dans la période contemporaine. Philipe Thivet voulait absolument qu’on ait une autre référence. Anne, en l’occurrence, nous a permis de compléter notre liste de portraits. 

Pourquoi avoir choisi ces dix femmes en particulier et comment vous êtes vous organisé avec les autres auteurs  ? 

Jérôme Vermer – On les a choisies par attrait personnel. Chacun devait venir avec une liste de personnalités féminines marquantes et, pas seulement des philosophes, mais aussi des artistes, des romancières, des religieuses … Par exemple pour Hildegard de Bingen, l’accent a été mis sur son attrait pour la musique. Cette liste devait être très personnelle. On voulait faire un livre qui ne ressemble à aucun autre. On ne voulait pas recopier une liste déjà existante. C’est un livre qui se veut féministe par le fait de mettre en avant des femmes qui ont souvent été oubliées mais pour qui nous ressentons une admiration.

Jérôme Vermer – Par exemple, Natalie Sarraute est vraiment, pour moi, une romancière qui a été importante pendant mes études. J’aurais voulu faire un travail ou un mémoire sur elle mais je n’en ai pas eu l’occasion. C’est là que l’idée m’est revenue. Ce projet a donné la possibilité à chacun, de réaliser son projet sur une personnalité.

Dans cette liste, il y a-t-il donc eu certaines femmes que vous n’aviez pas pu inclure dans la BD et que vous auriez bien voulu ajouter ? 

Jérôme Vermer – Oui, bien sûr. On avait au moins une liste de quarante femmes et on espère pouvoir continuer, en faire un deuxième voir un troisième. Moi je voulais revenir sur le parcours de Marguerite Yourcenar, romancière belge, qui a vécu en France, et, qui est la première femme qui a accédé à l’Académie française. Elle sera dans le deuxième volume, s’il y en à un. 

Qu’apporte la bande dessinée par rapport aux autres genres littéraires ? Pourquoi l’avoir choisie ? 

Jérôme Vermer – Parce que ça me paraissait un médium qui permet vraiment de rendre accessible par le dessin un propos qui est très abstrait. Cela n’a pas été évident. Pour chaque livre, on a mis deux ans car mettre en image de l’abstraction, c’est très compliqué. Mais quand on y arrive, c’est un bon outil pour faire comprendre des choses. Avec la bande dessinée, on avait vraiment l’impression de pouvoir s’adresser à tous. Et surtout, on a eu la possibilité d’incarner la pensée d’un personnage dont on raconte la vie et auquel on a également donné un aspect physique. 

Comment ce projet a-t-il vu le jour ? 

Jérôme Vermer – Quand on a été entrain de terminer Philocomix 3, on faisait des interventions dans des lycées, notamment dans des universités, et, un jour, nous sommes intervenus dans une Haute école à Bruxelles, qui forme les futurs profs de philosophie, et une étudiante nous a demandé :« Est-ce que vous n’auriez pas voulu mettre plus de femmes dans vos Philocomix ? » Elle avait raison ; Philocomix rassemblait les philosophes les plus connus et, les plus connus, ne sont pas forcément des femmes. Nous avions, quand même, déjà parlé de Simone Weil ou de Hannah Arendt. Donc, quand elle nous a fait cette remarque, Jean Philippe s’est dit qu’il fallait qu’on fasse quelque chose. On a, alors, commencé Libres de penser en même temps que l’on finissait Philocomix 3, ce qui a fait que pendant à peu près six mois, on a eu une énorme charge de travail. Ces deux livres sont sortis à cinq mois d’intervalle pour montrer que Philocomix pouvait être complété par une nouvelle série où il ne serait question que de femmes. 

Est-ce que vous avez eu l’occasion, par la suite de cette conférence de parler à la jeune fille, pour pouvoir son avis sur le sujet des femmes ? 

Jérôme Vermer – Nous n’en avons pas eu l’occasion, par contre Jean Philippe, lui rend hommage dans les remerciements. J’imagine pourtant qu’elle a été tenue au courant de la sortie du livre ; sur Facebook, j’ai vu, en actu, une photo des remerciements prise par la professeure de cette jeune étudiante. 

Combien de temps avez-vous mis pour créer la BD ? 

Jérôme Vermer – Pour un Philocomix, le temps de création est de deux ans. Pour ce projet, on a mis une petite année parce que nous sommes quatre et que l’on a travaillé très différemment. Habituellement, nous intervenons ensemble sur tous les chapitres alors que là nous les avons répartis entre nous. Cette façon de procéder a été très efficace. 

Laquelle de ces femmes vous a le plus inspiré ? 

Jérôme Vermer – C’est Etty Hillesum, qui termine le livre, parce qu’elle a eu une vie tragique mais qu’elle trouve, en elle, une force complètement hors norme qui lui permet de passer à travers les épreuves. Elle a écrit son journal, pendant la seconde guerre mondiale ; il est publié aujourd’hui sous le titre Une vie bouleversée chez Point. C’est vraiment très impressionnant, elle m’inspire beaucoup. Et puis surtout, c’est une jeune fille tout à fait normale. Ce n’est pas une sainte, ni une mystique. Elle a réussi à trouver une forme de sagesse sur une durée de deux ans, c’est extrêmement rapide. Quand on lit son journal, qu’elle a écrit sur cette période, on assiste vraiment à une grande évolution dans sa façon de penser. Donc, on reste assez marqué après la lecture de son journal. 

Que vous a apporté ce travail de réflexion sur les femmes ? 

Jérôme Vermer – Disons que cela permet de dégager un terme qui est le mot de résistance, ce terme de résistance, on en parle, on l’évoque souvent dans une situation de conflit de guerre, mais la résistance se fait à tout niveau. Elle peut aussi se faire dans le quotidien quand on ne veut pas se soumettre à certaines règles. Ces femmes ont fait preuve de résistance et ont permis de créer beaucoup de choses et d’amener certains changements dans la vie. Par exemple, pour prendre une personnalité plus proche de nous, Simone de Beauvoir a été extrêmement déterminante dans la lutte pour le féminisme, et, on ne peut pas ne pas dire qu’elle n’a pas marqué son époque !

Merci beaucoup.

Merci à vous 

Camille S.