Beate et Serge Klarsfeld, les chasseurs de nazis

De retour au Luxembourg, les célèbres chasseurs de nazis Beate et Serge Klarsfeld ont été interviewés dans la salle Robert Krieps à l’abbaye de Neumünster le 16 octobre 2023, ALETHEIA a pu assister à cette rencontre.

A leur entrée dans la salle, les Klarsfeld sont accueillis sous les applaudissements, l’émotion emplit la salle.

Serge Klarsfeld commence par raconter l’origine de son engagement. Il est né en 1935 dans une famille non croyante où la religion n’a pas joué un grand rôle dans son enfance. Il n’a pas d’éducation religieuse et ne reçoit pas d’enseignement conservateur, il fréquente une école laïque et républicaine. C’est uniquement pendant les années d’occupation qu’il a une réelle prise de conscience et découvre sa judéité, il affirme « Je dirais tout simplement que je suis un enfant de la Shoah ». Mais Serge Klarsfeld est également un européen, né à Budapest, il est issu de parents roumains. En 1943, il voit son père se faire arrêter par la Gestapo à Nice. Il raconte ensuite avoir été poursuivi toute sa vie. Par les allemands pendant la guerre puis après la guerre, pour fuir le Parti communiste en Roumaine. Serge Klarsfeld refuse les idées extrémistes de droite comme de gauche. Le couple désire une Europe fédérale et ils conçoivent l’Europe comme leur patrie.

À la question « Pouvez-vous nous parler de votre rencontre ? » Beate prend la parole et raconte avoir vécu en Allemagne de l’Est puis en Allemagne de l’Ouest mais a toujours eu le sentiment que l’Allemagne allait se réunifier. Elle dit ensuite s’être sentie partagée comme l’Allemagne durant toute sa vie. À l’école, à Berlin, les professeurs ne parlaient pas de la guerre par peur que les élèves posent trop de questions. Elle a attendu ses vingt-et-un ans pour aller à Paris en tant que fille au pair avec son amie. Elle rencontre Serge dans le métro en 1960, quinze ans après la guerre. Ils racontent s’être intéressés l’uns à l’autre et à l’histoire de leur pays respectif. En raison des informations insuffisantes des écoles en Allemagne, Beate apprend l’histoire de son pays avec Serge qui était à Sciences Po. 

Lors de leur mariage en 1963, le maire leur dit « vous êtes mon premier mariage franco-allemand, j’attends de vous que vous soyez un couple exemplaire ! ». C’est à partir de ce moment qu’ils s’engagent alors qu’ils n’étaient que de simples citoyens. Ils sont porteurs d’une cause que beaucoup auraient dû porter or une grande indifférence était présente à cette époque. Ils ont donc dû se battre pour respecter leur engagement. Ensemble, ils engagent des journalistes pour parler des actes et de la vraie histoire. Beate devient vite très engagée et réalise des actions spectaculaires. Elle raconte notamment du jour où elle a giflé l’ancien nazi Kurt Kiesinger. Cet acte était très risqué pour elle. Une jeune allemande qui s’oppose à un nazi montre ce que les Klarsfeld étaient prêts à faire pour atteindre leurs buts et respecter leur engagement. Beate a également été félicitée par des grands leaders communistes. Mais son engagement ne s’arrête pas à cette cause, Beate a aussi été arrêtée à Varsovie pour son opposition à l’antisémitisme polonais et au monde communiste de l’époque. Elle a aussi été arrêtée à Prague pour protester contre la répression russe. Ils ont également été victimes de tentatives meurtrières comme le raconte Beate Klarsfeld : « Un jour, il y a un paquet, qui est arrivé chez nous, il contenait une bombe. Serge était parti travailler et la concierge a apporté ce fameux paquet. Ce paquet ne nous inspirait pas beaucoup. A l’intérieur se trouvait une boîte de sucre avec des grains noirs. S’il avait ouvert le couvercle de la boîte, elle aurait explosé.  » Une bombe avait également été placée dans leur voiture alors qu’ils se préparaient à emmener leur fille à l’école, la bombe a explosé mais il n’y a eu par chance aucunes victimes. « C’est le risque l’engagement » conclut Beate Klarsfeld.

Serge a une révélation du devoir historique après la naissance de leur fils, et, se rend pour la première fois à Auschwitz où son père à été assassiné. Il prend réellement conscience de la nécessité de s’engager, de défendre et d’expliquer la Shoah. Il explique que l’écriture a joué un rôle important dans sa vie.

Les Klarsfeld préfèrent rester indépendants et ne pas être soumis à la pression de ceux qui leur versent des fonds. Ils ont accès aux sources grâce aux archives du centre de documentation juive contemporaine créées, clandestinement, en 1943 pendant l’occupation allemande. Ils poursuivent leur combat de recherche de Klaus Barbie, assassin de Jean-Moulin, en Amérique du Sud grâce à Beate qui a attiré la sympathie de François Mitterand ; il lui a permis l’accès aux archives auxquelles les historiens n’avaient pas accès telles que celles du ministère de l’intérieur, de la préfecture de police, du ministère des affaires étrangères ou encore du conseil des ministres. Ces archives ont permis de relater l’historique de la solution Finale ainsi que de combler les lacunes dans les recherches d’autres historiens. 

Les Klarsfeld graveront les mémoires durablement avec leurs nombreux exploits. En effet, ce sont les premiers à disposer des archives qui ont permis d’écrire l’histoire des juifs de France notamment dans le livre de Serge Klarsfeld « Vichy, Auschwitz », ce qui a permis aux Français d’ouvrir les yeux sur cette période de l’histoire. Ce sont également eux qui ont publié le premier Mémorial de la Déportation des juifs de France. De nombreux militants, en créant des associations, ont apporté leur aide. Le centre historique de la Shoah dans le monde (Yad Vashem) à Jérusalem les considère comme pionniers de la mémoire de la Shoah car ils ont beaucoup aidé à pouvoir redonner une identité à chaque victime de la Shoah.

Il est demandé aux Klarsfeld si, par cette lutte, ils cherchaient à établir une vérité historique mais s’ils cachaient également un but politique. Ce à quoi ils répondent que leur but est de casser l’hypocrisie des démocraties constitutionnelles pour rappeler, à chaque pays, son passé et qu’ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient faire pour atteindre leurs buts. Ils disent appartenir à une génération de déportés et expliquent que le monde a changé. Les combats qu’ils ont menés, plus personne ne va les livrer. C’est aux nouvelles générations de livrer de nouveaux combats.

Serge Klarsfeld s’exprime sur ce qui lui et sa femme défendent. « Nous prévoyons la lutte de ceux qui défendent les valeurs républicaines face aux idéologies d’extrême droite ou d’extrême gauche, la défense contre le racisme, contre l’antisémitisme, se battre pour les droits de l’Homme mais vous voyez la guerre est revenue en Europe, ça faisait longtemps qu’elle n’était pas revenue en Europe. Les générations, qui nous ont précédés, n’ont pas connu la guerre, elles ont connu une longue période pacifique, ce qui est absolument exceptionnelle dans l’histoire de l’Europe. Nous, on a connu la misère, la souffrance, la peur, la faim, on a connu des tas de choses et en même temps, on sent que la violence revient parce que les générations n’ont pas connu la guerre et qu’il y a une sorte d’aspiration, quand on regarde l’histoire, à ce que la guerre revienne régulièrement, et, donc on ne sait pas ce que sera l’avenir parce qu’on va disparaitre bientôt. »

Il revient ensuite sur leur chemin parcouru et s’interroge : « Nous, on a fait notre possible, et on se dit que c’est aux générations suivantes de faire leur possible et de trouver la voie de l’engagement. Que va-t-il devenir de cette jeunesse ? Va-t-elle défendre les valeurs républicaines ou va-t-elle aller vers la violence ? Aucun régime, ni d’extrême gauche ni d’extrême droite, n’a jamais apporté le bonheur aux peuples qui ont voté pour eux ou aux peuples dont ils se sont emparés …. Alors on est inquiets, c’est tout ce que l’on peut dire, il n’y a pas un manuel du bon usage de l’engagement, c’est aux jeunes de trouver leurs voies, de savoir ce qu’ils veulent à partir de l’éducation qu’ils ont reçue et nous espérons que le monde, que nous avons connu, ne s’écroulera pas. »

Garance T. et Silvia F.

Photographie : Silvia F.