Jeudi 23 et vendredi 24 novembre 2023, dans le cadre du programme PHARE, des ateliers sur le harcèlement ont été menés, au sein de notre établissement, par Hélène Romano, psychologue, docteure en psychopathologie, docteure en droit privé et sciences criminelles, psychothérapeute spécialisée dans la prise en charge des blessés psychiques. Elle est aussi l’auteure d’une trentaine d’ouvrages relatifs à la question du traumatisme et des blessures de vie. Spécialiste des questions de traumatismes psychiques des enfants, notamment en milieu scolaire, des questions de harcèlement et de bien-être psychique des élèves, Dr. Hélène Romano, nous a fait l’honneur d’accorder un entretien pour ALETHEIA.

Imrane A. – Bonjour Docteure ! D’abord bienvenue au Luxembourg !
Dr. Hélène Romano – Bonjour !
Imrane A. – J’aurais quelques questions à vous poser. Tout d’abord, pourquoi avez-vous choisi de travailler sur les domaines du traumatisme psychique et de la transmission traumatique, plus spécifiquement chez les enfants et adolescents ?
Dr. Hélène Romano – Cela fait trente ans que je travaille et ces questions-là n’étaient pas du tout d’actualité. Au début de ma carrière, personne n’en parlait. J’ai travaillé dans l’Education Nationale, dans des établissements où l’on prenait en charge des élèves qui étaient déscolarisés pour des situations de violences extrêmes, de crimes, des choses extrêmement graves. Je me suis rendue compte à quel point il y avait de la souffrance psychique dans les établissements scolaires chez les élèves et cela m’a amenée à m’intéresser de plus en plus à ces questions-là. J’ai fait ma thèse sur les violences sexuelles en milieu scolaire. Et petit à petit, j’ai vraiment développé toute une démarche clinique.
Imrane A. – Pourriez-vous nous donner les éléments clés, à nous élèves, permettant de lutter de manière efficace contre le harcèlement scolaire ? Avez-vous une approche particulière ?
Dr. Hélène Romano – Alors, il y a différentes approches mais peut-être que les mots clés importants sont « d’en parler », et « de ne pas rester seul ». Oser en parler, ne pas banaliser. Parce que les adultes peuvent ne pas s’en rendre compte. Souvent les élèves vont dire que ce sont des petites choses, ce sont des blagues, c’est pour rigoler, et en fait non. Ce n’est pas rigolo, ce ne sont pas des blagues, cela peut vraiment blesser psychiquement quelqu’un, et, oser en parler, c’est important. Mais quand on subit souvent du harcèlement, on a honte, on se sent coupable, on se sent seul au monde, pas du tout valorisé et on ne va pas forcément oser aller vers l’adulte. Donc, c’est important de dire les choses car malheureusement cela ne va pas se régler tout seul, ce serait trop beau. En parler c’est fondamental, même si c’est difficile, il faut essayer de trouver des adultes. Des fois, bah tel adulte ce n’est pas le bon, et puis tel autre sera plus disponible, donc pas il ne faut pas se décourager si l’on n’est pas suffisamment entendu.

Imrane A. – Pouvez-vous expliquer ce qu’est la résilience et comment cela peut aider quelqu’un à se remettre d’un traumatisme ?
Dr. Hélène Romano – Alors rapidement, parce que c’est compliqué, la résilience. Au départ c’est un terme de la physique, c’est la déformation d’un métal qui a une capacité de retour à l’état initial. En psychologie, quand on a vécu un traumatisme, une épreuve qui nous a confrontés à la mort, quelque chose d’épouvantable, on ne revient jamais à l’état initial, on est transformé à vie. Cela ne veut pas dire que l’on est stigmatisé, que l’on va être condamné à souffrir, mais l’on ne revient jamais à l’état initial. La première personne à avoir utilisé ce terme, c’est Emmy Werner, psychologue qui a beaucoup travaillé en Amérique du Sud, dans les favelas, et qui pendant des années et des années à accompagner des enfants des rues et les a vus grandir. Elle s’est rendue compte que certains enfants, qui avaient quand même des parcours de début de vie extrêmement douloureux, réussissaient à avoir une vie heureuse à l’âge adulte. Epanouis, ils ne terminaient pas tous à l’institut médico-légal ou ne décédaient pas précocement. Et à cette époque-là, elle a vraiment voulu utiliser un terme qui n’était pas un terme de psychologie. Parce qu’il y avait une envie de ne pas psychiatriser les gens, une envie de ne pas les stigmatiser, on utilisait beaucoup le terme de vulnérabilité psychique, pour elle c’était quelque chose de trop stigmatisant, donc elle a cherché un autre terme et ce terme, c’est « résilience ». Voilà, c’est arriver à faire face. Certains en ont fait leur fonds de commerce, et en parlent beaucoup. Et la difficulté, c’est, que l’on en parle pour tout, et je dirais n’importe quoi. Quand on nous explique que l’écologie est résiliente, un terme qu’on utilisait psychiquement pour les individus, on va l’utiliser ensuite pour l’Antarctique, on a eu ces titres lors de la pandémie en France. On a eu des militaires qui sont venus renforcer les hôpitaux et il y a eu une opération «Résilience », qui étaient, en fait, des hôpitaux militaires. Donc, on voit bien que c’est devenu un mot pansement : « je suis résilient », « la société est résiliente », « l’économie est résiliente », « le peuple israélien/palestinien est résilient ». On a l’impression qu’une fois qu’on a dit ça, tout est réglé, c’est donc le bémol de l’utilisation de ce terme. Au niveau psychologique, c’est un processus psychique qui permet de faire face à des situations difficiles et (le « ET » est fondamental) que l’acquis de cette expérience difficile puisse servir à faire face si un autre événement éprouvant se présentait. Ce qui fait que quand je suis à nouveau confronté à une situation compliquée, je connais un petit peu mes ressources et je sais comment faire. Et dans d’autres situations, on a survécu à quelque chose, mais on continue à souffrir, on rumine, on n’arrive pas à avancer, et on continue et encore et encore et encore, quelque part psychologiquement on n’est pas résilient. Donc c’est toute une dynamique particulière. Actuellement c’est devenu un terme commercial, avec tous les écarts, les écueils, qu’il y a par rapport à ça, parce que psychiquement ça signifie, une ressource individuelle, groupale, sociétale, utile pour faire face à des situations douloureuses. Et l’école, le milieu scolaire, est une ressource de résilience très importante.
Imrane A. – Selon vous, quelles sont les sources des traumatismes psychiques en milieu scolaire ?
Dr. Hélène Romano – Elles sont innombrables mais vécues différemment selon les personnes. Cela peut être liée à l’histoire personnelle (deuil, maladie, agressions, maltraitances), au contexte social (pandémie, guerre, écologie, crise économique), au contexte des résultats scolaire (stress des résultats, pression des notes, stress de l’orientation), à la vie à l’école (tensions entre élèves, harcèlement, tensions avec les enseignants, confrontation à des événements traumatiques ayant eu lieu dans l’établissement ou dans un autre établissement comme l’attentat au lycée d’Arras) etc.

Imrane A. – Quels conseils donneriez-vous aux élèves en milieu scolaire pour les aider à lutter efficacement contre tous les types de traumatismes en milieu scolaire (hors harcèlement) ?
Dr. Hélène Romano – En dehors du harcèlement, là encore une fois ce qui est vraiment important c’est d’oser en parler, et d’avoir des adultes ressources dans les établissements scolaires. Ce sont des lieux de ressources importants pour les élèves qui sont traumatisés, hors harcèlement, parce que l’école, c’est un lieu de vie. Moi je m’occupe beaucoup d’enfants, endeuillés, qui ont vécu des choses terribles, à l’extérieur, ils veulent revenir à l’école, parce que l’école c’est la normalité tout comme pour les élèves malades, ou en situation d’handicap. L’identité d’élève c’est ce qui fait quand même le quotidien de beaucoup d’enfants et d’adolescents. Donc, c’est vraiment extrêmement important de l’avoir en tête, et de pouvoir intervenir au plus tôt, de pouvoir solliciter une aide au plus tôt. Dans un établissement scolaire vous avez de nombreux professionnels, et moi peut-être, je vais être particulièrement, en confiance avec le médecin scolaire, avec l’infirmière, avec le psycho, avec la CPE avec l’AED, avec… ça dépend. Il faut que je trouve un adulte ressource. Donc ne pas rester seul avec ma souffrance, mais très souvent quand on souffre psychiquement, on se sent faible, on a honte, on se sent coupable de souffrir, on ne veut pas inquiéter son entourage, et du coup, bah on ne dit rien, et le problème c’est que quand on ne dit rien, on ne dit rien et après ça ne fait que s’aggraver. Donc l’idée de ne pas rester seul c’est vraiment fondamental.
Imrane A. – Quels conseils donneriez-vous cette fois-ci aux lycéens pour maintenir leur bien-être émotionnel et mental, surtout lorsqu’ils font face à des défis comme le harcèlement scolaire ?
Dr. Hélène Romano – L’idée c’est d’avoir une bonne estime de soi, c’est ce qui permet de ne pas être un élève ciblé par des harceleurs. Une bonne estime de soi, d’arriver à se valoriser, donc arriver à se connaitre, ce n’est pas simple. Quand on se construit dans sa vie, même quand on est adulte, on ne se connaît pas toujours. Mais il faut arriver à savoir « qu’est-ce qui me permet à moi d’être bien ? », « quelles sont les activités, les loisirs, les choses qui me font plaisir, mes ressources? ». Arriver à mettre des mots sur des émotions, à repérer mes émotions, ça c’est important, parce que souvent on n’y arrive pas. Donc le conseil qu’on peut donner, c’est d’apprendre à mieux se connaître, et d’apprendre à s’autoriser aussi d’avoir une vie en dehors du lycée. Je sais bien que la vie au collège ou au lycée c’est hyper important, mais la valeur d’un jeune ce n’est pas que ses diplômes, c’est comme la valeur d’un adulte ce n’est pas que ses diplômes. Donc avoir des activités extérieures pour se sentir bien, dans son corps, dans sa tête, avoir confiance en soi, ça c’est important.
Imrane A. – Docteure, je vous remercie pour vos réponses !
Dr. Hélène Romano – Voilà ! Merci à vous !
Photos : Ilian B.
