Lors de sa venue au lycée le 19 mai 2023, Félicité Lyamukuru, survivante du génocide des Tutsis au Rwanda, a témoigné de son histoire et de celle du Rwanda aux élèves de première et terminale. Cette rencontre très émouvante a également permis aux élèves de connaître l’association IBUKA, dont Félicité Lyamukuru est la secrétaire générale. IBUKA œuvre pour le soutien aux rescapés et pour la transmission de la mémoire dans les milieux scolaires.
Félicité Lyamukuru raconte qu’elle est née en 1977 dans une fratrie de sept enfants. Ses parents ayant fui le Rwanda à cause des tensions en 1973, grandissent au Zaïre, l’ancienne République Démocratique du Congo. A cause de la crise monétaire qui touche le Zaïre, ils sont contraints de retourner au Rwanda en 1985. Elle nous explique qu’elle ignorait tout de son origine, ne sachant même pas qu’elle était Tutsi. C’est lors de son premier jour d’école qu’elle a découvert qu’elle n’était pas comme les autres, qu’elle n’était pas comme les Hutus. La découverte de sa propre identité a été pour elle un premier choc, d’autant plus qu’elle et ses frères et sœurs en ont subi de lourdes conséquences : ils ont été discriminés, frappés et blessés. L’entrée dans le secondaire lui avait procuré beaucoup d’angoisse : elle avait peur de ne pas trouver sa place.
Félicité présente son parcours scolaire. Elle avait postulé dans un collège de sciences, remporté l’examen d’entrée haut la main, mais a été refusée parce qu’elle était Tutsi. Elle a obtenu une école hors de son village (elle a donc été forcée d’habiter chez sa grand-mère en semaine). Elle raconte que tous les professeurs étaient racistes. Dès le premier jour, elle et tous les Tutsis avaient été réunis par une élève, plus âgée qu’eux, leur intimant de faire profil bas s’ils ne voulaient pas avoir de problèmes. Lors d’une autre réunion, pour les menacer, des professeurs leur avaient montré une camionnette remplie de cadavres de Tutsis. Une semaine plus tard, Félicité et sa famille se sont faits agresser. Ils ont alors décidé de fuir le lendemain de l’agression. Ils ne sont revenus chez eux qu’après la fin de la guerre civile.
Lors de l’assassinat du président, le 6 avril 1994, Félicité explique qu’elle était chez ses parents pour les vacances de Pâques, avec ses six frères et sœurs. Ils ont appris sa mort à la radio, le matin du 7 avril, et ont décidé de fuir à nouveau. À la radio, l’extermination des Tutsis était encouragée, et un décompte des morts était effectué tout au long de la journée. Ils ont alors découvert que leur maison avait été barricadée. Des foules de Hutus les attendaient à l’extérieur en se demandant s’ils avaient déjà fui. Cette fois encore, ils avaient réussi à s’échapper et à rejoindre un séminaire.
Le témoignage de Félicité devient de plus en plus difficile quand elle relate le massacre de sa famille. Alors qu’elle jouait aux cartes avec une cousine, sa mère versait des verres de lait. Lorsque Félicité voulut boire le sien, sa mère refusa de le lui donner et lui ordonna d’aller chercher son manteau qui se situait dans une autre pièce. Félicité, étant asthmatique, risquait d’attraper froid. Elle y alla à contre cœur et en sortant elle vit des Hutus armés de machettes. Elle se réfugia dans un grenier pendant des heures. Elle redescendit lorsqu’elle fut certaine qu’il n’y avait plus de danger. Elle découvrit, dans la chapelle, plusieurs membres de sa famille tués à coups de machettes. Les seuls survivants étaient son père, son frère et une de ses cousines. Au milieu de cette scène d’horreur, le verre de lait était resté intact, posé sur la table, à l’endroit où la mère de Félicité l’avait laissé.
Seuls Félicité, un de ses frères et son père ont survécu à cette attaque. Félicité a retrouvé sa cousine, cachée dans un vestiaire. Celle-ci, traumatisée, n’a pu parler pendant très longtemps. Amenée en cachette par un soldat Hutu, elle a trouvé refuge dans un orphelinat sous une fausse identité.
Après s’être cachée dans une église, Félicité quitte le Rwanda, qu’elle associe à des souvenirs traumatiques, pour se réfugier à Bruxelles. Elle intègre l’association Ibuka et retourne 21 ans plus tard au Rwanda sur les traces de son passé douloureux. Elle publie en 2018 le livre L’ouragan a frappé Nuyndo qui témoigne de son histoire.
En 2020, le génocide des Tutsis entre dans les programmes scolaires français.
Le Rwanda en bref : Le Rwanda est un pays d’Afrique situé entre Le Burundi, la Tanzanie, l’Ouganda et la République Démocratique du Congo. Colonie allemande de la conférence de Berlin, en 1885, jusqu’à la défaite de l’Allemagne lors de la Première Guerre Mondiale, le Rwanda devient une colonie belge de la fin de la Première Guerre Mondiale à son indépendance, le 1er juillet 1962. Jusqu’au 20e siècle, le Rwanda est divisé en plusieurs classes sociales : les Tutsis, les Hutus et les Twa. Les mariages entre des personnes de différentes classes sociales sont autorisés, et les changements de classes sociales aussi. Des tensions entre les classes existent, mais elles sont minimes. Lorsque les colons belges arrivent, ils ont fait de ces classes sociales des ethnies, aggravant les tensions. L’ethnie à laquelle chacun appartenait est alors indiquée sur le passeport : il n’y avait plus de possibilités de changement. Certains Tutsis obtiennent des privilèges, et les colons s’appuient sur eux pour asseoir leur domination. Lors de l’indépendance, il y a toujours des discriminations. Plusieurs massacres de Tutsis ont lieu, pour les faire fuir dans les pays frontaliers, et les dissuader de revenir. Par exemple à Noël 1963, 40 000 Tutsis sont tués. En 1973, alors que le roi du pays est un Hutu du nord, un Hutu du sud effectue un coup d’État. Cet évènement entraîne un massacre entre Hutus, qui finit par s’étendre aux Tutsis, alors que ceux-ci n’ont rien fait. En 1990, les tensions explosent, amenant à une guerre civile entre le Front Patriotique Rwandais (FPR), et les Forces Armées Rwandaises (FAR). Au cours de cette guerre, de nombreux Tutsis sont arrêtés et massacrés. En août 1993, les accords d’Arusha sont signés, mettant fin à la guerre, mais pas aux tensions. Le 6 avril 1994, le président du Rwanda, Juvénal Habyarimana, est assassiné. Des Hutus ont orchestré un attentat contre lui, alors qu’il était dans un avion pour Kigali, la capitale du Rwanda. Le lendemain, à la radio, ce sont les Tutsis qui sont accusés. Il s’agit du prétexte qui a enclenché le génocide du Rwanda. En trois mois, du 7 avril au 17 juillet 1994, entre 800 000 et 1 000 000 Tutsi sont traqués et tués. Association IBUKA : https://www.ibuka-france.org/

Article écrit par Iudig J et Candice D. Illustrations par Iudig J.
